Révélations privées et prudence: le P.Ovila Melançon, théologien spécialiste, nous parle des critères de discernement /2.
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Révélations privées
et prudence (2)


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RéVéLATIONS ET CAUSES D'ERREURS

1) Les fausses interprétations

Il existe plusieurs causes d'erreurs dans les révélations privées; l'une d'entre elles est la fausse interprétation par la personne qui la reçoit. Les voyants peuvent mêler l'activité humaine à l'activité surnaturelle. En effet, Dieu ne donne parfois qu'une demi intelligence des révélations, qui peuvent être sujettes à des conditions sous-entendues. Il faut donc parfois se défier du dans littéral. Malheureusement, il arrive souvent que des mystiques s'en tiennent au sens littéral de certaines révélations, que Dieu leur a transmises avec des expressions imagées.

On peut les interpréter faussement à cause de leur obscurité, comme on vient de le voir, mais aussi parce qu'elles contiennent parfois, sans que le voyant en prenne conscience, des conditions sous-entendues.

On peut donner comme exemple le cas de Jonas, qui avait reçu, par une révélation bien authentique, que la ville de Ninive serait détruite dans quarante jours. Mais les prophéties de menace, ou comminatoires, ne sont que CONDITIONNELLES, c'est-à-dire qu'elles dépendent de la réaction des personnes menacées. Ainsi, la conversion des Ninivites leur a évité la destruction de leur ville.
 

2) Les scènes historiques

Si le but des révélations est d'instruire le voyant ou d'autres personnes, leur interprétation demande beaucoup de prudence.

Lorsque les visions représentent des scènes historiques, comme par exemple celles de la vie ou de la mort de Notre-Seigneur, elles ne le font souvent que d'une manière approximative. On se trompe donc en leur attribuant une exactitude absolue.

Cette erreur est compréhensible, car il semble que, dans les visions divines, tous les détails devraient traduire la réalité d'autrefois, pour le paysage, les costumes, les paroles, les gestes, etc. Plusieurs saints ont pensé, en effet, que l'événement s'était passé de la façon dont il s'est déroulé devant eux.

Cependant Dieu ne trompe pas, quand il modifie certains détails. S'il s'astreignait à une exactitude absolue, il s'abaisserait au rang de professeur d'histoire ou d'archéologie. On chercherait dans les visions la satisfaction d'une vaine curiosité d'érudit; Dieu a un but plus noble, celui de développer la charité et de sanctifier les âmes.

Il en est de même pour les visions du ciel, du purgatoire et de l'enfer. Dieu ne fait voir qu'une part de la réalité, qui dépasserait trop notre intelligence. Il a recours à des symboles pour s'adapter à notre nature. Les saints et les anges apparaissent avec des corps que pourtant ils n'ont pas. Ils sont revêtus de riches costumes, prennent part à des processions ou cérémonies. Tout cela doit être compris d'une façon spirituelle.


3) Mélange des activités divine et humaine

Au cours d'une révélation, il est possible que l'esprit humain conserve le pouvoir de mêler, dans une certaine mesure, son action à l'action surnaturelle. En conséquence, on se trompe en attribuant seulement à Dieu les connaissances ainsi obtenues. La mémoire aussi peut apporter ses souvenirs et l'imagination sa puissance d'inventer. L'inconscient peut encore intervenir. Même une personne de bonne foi peut être trompée par une imagination ou un esprit trop vifs.

Les idées qui correspondent à nos désirs peuvent aussi influencer les révélations, surtout si nous entretenons le désir que tel projet ambitionné soit encouragé par une révélation. Nous aurons facilement l'impression que Dieu nous parle pour l'appuyer.

Nous serons aussi facilement portés à attribuer à l'influence divine des idées préconçues en matière de doctrine et d'histoire, ainsi que ce qui nous a vivement impressionnés dans nos lectures ou nos conversations.

Il est possible aussi que le démon produise de fausses révélations ou visions. Il peut aussi chercher à contrefaire l'extase, mais ces cas sont extrêmement rares.


4) Altérations involontaires

Il est possible qu'une révélation authentique soit modifiée, après coup et involontairement, par le voyant lui-même. Ce danger existe notamment pour les paroles intellectuelles. En effet, après leur réception, il faut les traduire par des mots; alors, on est exposé à modifier un peu le sens et surtout à lui donner une précision qu'elle n'avait pas.

On doit ajouter que si les révélations et visions sont nombreuses, cette circonstance prise en elle-même, ne constitue pas un signe défavorable. Autrement, ce serait condamner une foule de saints, qui ont eu une abondance prodigieuse de révélations. Cependant, un danger guette ces personnes, c'est celui de devenir négligentes à bien discerner leurs révélations.
 

5) Se croire à l'abri des illusions

Si quelqu'un se croit à l'abri des illusions, il est très exposé à en avoir. Il est comme une ville assiégée, qui ne se protège aucunement contre les ennemis qui la surveillent.

Marie d'Agreda n'éprouvait pas cette crainte; elle exigeait plutôt qu'on ne doutât aucunement de l'authenticité de ses révélations. Elle soutenait que Dieu lui avait dit: "Je ne veux pas qu'on regarde ces révélations comme des opinions, mais comme une vérité certaine". La Vierge Marie lui aurait donné la même assurance. Voilà malheureusement une attitude que l'on retrouve chez quelques-uns de nos mystiques actuels!...
 

6) Désirer des révélations

Le désir des révélations ouvre aussi la porte aux illusions. Ce désir fait justifier les révélations que l'on pense avoir reçues et il excite l'imagination à en inventer de nouvelles.

Sainte Monique faillit tomber dans l'illusion par un tel désir. Comme elle cherchait à convertir son fils et à le marier, elle voulait savoir par révélation le résultat de ses démarches: ce qui lui valut de fausses révélations. Mais comme elle en avait reçues déjà de véritables, elle constata que celles-là différaient des autres par "je ne sais quel goût, difficile à expliquer", disait-elle, et elle put rejeter ainsi les fausses révélations.

Il arrive souvent qu'on ignore ou qu'on oublie cette règle de prudence. Certaines personnes qui connaissent un voyant ou une voyante, sollicitent des révélations pour obtenir des réponses à leurs questions. Se telles consultations sont imprudentes et elles exposent à des réponses erronées, dues à l'imagination du voyant!...
 

7) Révélations et entreprises à réaliser

Les révélations peuvent pousser à réaliser une entreprise déterminée, comme établir une nouvelle dévotion, fonder une nouvelle congrégation religieuse, corriger le relâchement d'un certain nombre de personnes, bâtir un sanctuaire, créer une œuvre pour laquelle on n'a pas les ressources suffisantes, etc. C'est ici surtout que la prudence et même la défiance sont nécessaires.

Dans ces cas, il faut examiner si l'œuvre est bonne en soi et conforme à l'esprit de l'Église; utile, et d'une utilité qui justifie un moyen aussi exceptionnel qu'une révélation; opportune, c'est-à-dire voir si elle répond à un besoin nouveau, ou si elle ne nuit pas à une œuvre semblable, qu'il serait préférable de soutenir.

En somme, l'affaire doit être examinée à la sage lumière de la raison, soumise à des personnes prudentes et compétentes. Le seul rôle de la révélation aura été de suggérer une idée; elle est seulement l'occasion des décisions que l'on prend.

Une autre règle s'impose, c'est de manifester beaucoup de patience et de calme, lorsque les autorités empêchent de réaliser les entreprises, qui semblent avoir été inspirées par des révélations.
 

8) Révélations annonçant des châtiments

Au sujet des révélations annonçant des châtiments comminatoires, il est nécessaire d'apporter quelques précisions théologiques, qui sont très peu connues, même parmi les membres du clergé. Il est très important de savoir que ces révélations doivent toujours être considérées comme étant seulement CONDITIONNELLES.

Cela signifie que ces châtiments ne se réaliseront que s'il n'y a pas un nombre suffisant de pécheurs qui se convertissent, ou s'il n'y a pas un nombre suffisant d'âmes ferventes qui expient pour les pécheurs. Mais il convient de rappeler que, dans sa miséricorde infinie, Dieu n'exige pas un grand nombre d'âmes fidèles pour contrebalancer les péchés des hommes.

En effet, le livre de la Genèse nous apprend qu'un jour Dieu avait décidé de détruire les villes de Sodome et de Gomorrhe, à cause de la gravité de leurs péchés. Néanmoins, Abraham réussit à obtenir de Dieu que ces châtiments ne se produiraient pas, s'il y avait seulement DIX justes. (Gen 17, 20-32) Le prophète Jérémie nous apprend aussi que Dieu aurait été satisfait d'UN juste pour épargner toute la ville de Jérusalem de la destruction. (Jér 5,1)

En conséquence, les personnes ferventes dans l'Église, qu'il s'agisse de prêtres, de religieux, de religieuses ou de laïcs, doivent croire fermement qu'elles accomplissent, auprès de Dieu, une œuvre d'intercession beaucoup plus importante qu'elles ne le pensent.

Quant à la prophétie de Jonas, elle annonçait la vérité aux Ninivites, et Dieu ne s'est pas trompé et il n'a pas trompé. Les dispositions des Ninivites appelaient de soi une sévère punition de la part de Dieu, qui avait décidé de la décerner, s'ils ne s'amendaient pas. Que les Ninivites, effrayés par cette menace, se soient convertis, et que dès lors Dieu n'ait pas à les punir, cela ne change rien à l'oracle précédent.

Saint Vincent Ferrier nous offre un autre exemple de conditions sous-entendues dans les prophéties de menace. Il employa les vingt et une dernières années de sa vie (1398-1419) à annoncer que la fin du monde était prochaine.

Il l'avait apprise par une vision très claire, énoncée sans conditions, dont il prouvait la vérité en semant partout les miracles. Cependant cette prophétie, si bien appuyée, ne s'est pas réalisée. On explique ce fait en disant qu'elle était conditionnelle.

L'époque du grand schisme d'Occident méritait sans doute comme châtiment la fin du monde. Mais ce malheur a été évité par les conversions en masse que les menaces du Saint et ses miracles produisirent dans toute l'Europe.

Voilà deux cas de prophéties comminatoires authentiques, mais les fausses abondent, surtout aux époques de grands troubles religieux et politiques, parce qu'alors les imaginations sont surexcitées; c'est pourquoi il ne faut pas trop facilement verser dans la crédulité.

Ainsi, au XIIIe siècle, saint Bonaventure se plaignait d'entendre "à satiété" des prophéties sur les malheurs de l'Église et sur la fin du monde. A la fin du XIVe siècle et au début du XVe, les voyants surgissaient de partout.

Au début du XVIe siècle, il y eut en Italie une véritable épidémie de prophéties politico-religieuses.

Cette effervescence avait eu pour point de départ les prédictions faites à Florence par Savonarole. Des religieux, des ermites, se répandaient de tous côtés et, commentant l'Apocalypse, annonçaient en chaire ou sur les places publiques des révolutions dans le gouvernement temporel ou spirituel, et ensuite la fin du monde. Dans le Ve concile de Latran, en 1516, le pape Léon X fut obligé de publier une Bulle pour interdire les prophéties publiques des prédicateurs.

Le XXe siècle ne le cède en rien aux siècles précédents. De temps en temps, nous entendons des voyants annoncer des malheurs pour notre monde. Certains de ces personnages peuvent être sérieux, mais après avoir vérifié l'authenticité de leurs révélations, en autant qu'il est possible de le faire, il faut ensuite les considérer comme étant seulement "conditionnelles"...

De plus, les révélations, en général, doivent être soumises à l'épreuve du temps. Autrement, les discernements favorables n'offrent pas des garanties vraiment sérieuses. Il est aussi nécessaire, pour les voyants, de tout soumettre à leur directeur de conscience, mais ce dernier doit avoir les connaissances théologiques requises en plus de la prudence. Sinon il favorisera les illusions plutôt que d'aider à les éviter!...
 

9) Autres conditions

L'une des conditions de l'authenticité d'une révélation est sa pleine conformité avec les dogmes et les enseignements communs de l'Église, et aussi avec les données certaines des sciences et de l'histoire.

Il suffit qu'un seul dogme soit contredit pour conclure que telle révélation ne vient pas de Dieu. Par contre, si une révélation ne contient pas d'erreur, on ne peut alors rien conclure. L'esprit humain peut demeurer dans les limites de la vérité, et aussi le démon, du moins pour un temps, dans le but d'inspirer confiance. La révélation ne doit contenir aucune action qui blesse la décence et les bonnes mœurs.

Certains théologiens considèrent comme suspecte la connaissance surnaturelle des vices et des péchés d'autrui, sous prétexte qu'on peut manquer ainsi à la charité. Néanmoins, il faut reconnaître que certains saints peuvent pénétrer, par charisme, les secrets des cœurs, et par là aider les âmes à se convertir.

Les enseignements des révélations doivent être utiles pour le salut des âmes. Si les révélations n'ont aucune utilité pour le bien des âmes, il est certain qu'elles ne sont pas divines. Dieu ne peut recourir à un moyen aussi exceptionnel pour des fins de curiosité. Les révélations n'ont pas lieu sans un motif très sérieux. Elles sont l'action de la puissance de Dieu, sans doute, mais aussi de sa sagesse.

Il faut considérer comme suspecte une révélation destinée à trancher une question disputée en théologie ou en d'autres sciences. Dieu laisse ces discussions à l'esprit humain, parce qu'elles ne sont pas destinées à la sanctification des âmes, qui est la chose qui ait vraiment de l'importance pour Dieu. Saint Jean de la Croix soutient que, pour le reste, "son intention est que les hommes aient recours aux moyens humains". (Montée du carmel, 1.II, ch.XXII)

Tous les détails qui accompagnent une vision, attitudes, gestes, paroles, etc. doivent être conformes à la dignité et au sérieux qui conviennent à la Majesté divine. Quand les anges ou les saints se manifestent en prenant un corps apparent, jamais ce corps ne renferme de membres difformes ou d'aspect bestial; ce serait indigne d'eux.
 

LES INFLUENCES SUR LE DIRECTEUR

L'un des pièges que peut rencontrer un directeur, c'est de se laisser dominer. Ce qui est suspect, dans le cas présent, ce n'est pas l'aide réciproque que l'on peut se donner par la prière et par l'action; plusieurs saints ont eu recours à une collaboration. On peut citer, comme exemples, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d'Avila, saint François d'Assise et sainte Claire.

à ce sujet, on peut rappeler avec quelle facilité déplorable madame Guyon réussit à influencer le père Lacombe et Fénelon, qui devinrent moins ses directeurs que ses associés et même ses disciples. Il convient de signaler que Fénelon fut un ecclésiastique brillant; il devint même archevêque de Cambrai. Mais cette pénible histoire de l'influence d'une femme, qu'on a qualifiée de "demi-sainte et demi-folle", est une leçon de prudence pour quiconque croirait pouvoir se confier aveuglement à une "mystique" et se laisser guider entièrement par ses révélations!...
 

L'UNION MYSTIQUE  ET LES RéVéLATIONS

Au point de vue de la sanctification, les grâces d'union mystique avec Dieu sont beaucoup plus importantes que les révélations et les visions. Un état d'oraison, qui présente sérieusement les caractères de l'état mystique, vient certainement de Dieu et il ne peut être qu'avantageux.

Si l'on maintient parfaitement la distinction entre l'union mystique avec Dieu et les faits extraordinaires qui peuvent l'accompagner, il faut admettre qu'il n'y a aucun danger. En effet, si le démon peut tromper par de prétendues révélations ou visions, il ne peut produire l'union mystique, ni la comprendre, car les anges bons ou mauvais ne peuvent agir directement sur notre intelligence et sur notre volonté.

Les caractères de l'union mystique et de la contemplation infuse véritable sont d'ailleurs bien décrits dans les auteurs ascétiques et mystiques, et ni notre imagination, ni notre esprit, ni même le démon ne peuvent reproduire l'ensemble de ces caractères. ■

 

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