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Mis en demeure de se trouver à la caserne d'Enns le 25 février (1943),
Franz écrit à l'abbé Karobath, alors exilé : ‟Je dois vous annoncer
que vous allez peut-être perdre un de vos paroissiens... Comme personne
ne peut m'obtenir d'être dispensé d'accomplir une chose qui mettrait
en danger mon salut éternel, je ne peux rien changer à ma résolution,
que vous connaissez”. Le prêtre comprend alors la position de son ami et l'approuve.
Dans un premier temps, Franz ne se rend pas à la caserne;
son idée est de se cacher dans la forêt. Puis, réfléchissant que sa fuite
provoquerait des représailles à l'encontre de sa famille, il se présente à
Enns le 1er mars. Dès le 2, il annonce à l'officier-recruteur qu'il refuse
de porter les armes, en raison de son opposition aux principes du national-socialisme.
Le même jour, il écrit à sa femme une lettre pleine d'amour
où il lui explique les motifs de sa décision. Elle se termine ainsi
: ‟Puisse Dieu t'accorder tout ce que tu désires, à condition que
cela ne compromette pas ton salut éternel... Si Dieu ne permet pas
que je vous revoie ici-bas, j'espère que nous serons bientôt tous
réunis au Ciel”. Il demande à Franziska de lui envoyer une
brochure sur les apparitions de la Vierge Marie à Fatima.
Franz est conduit à la prison militaire de Linz.
Il y est visité par l'abbé Baldinger, qui l'invite à accepter
l'appel sous les drapeaux. Le prêtre soutient que le port des armes
n'implique pas une adhésion au régime nazi ; c'est seulement
un acte d'obéissance civile qui n'engage pas la conscience.
Mais Franz s'en tient à sa décision mille fois pesée devant Dieu :
il ne peut pas prêter le serment inconditionnel d'obéissance
à Hitler qui est exigé de tout soldat.
L'abbé Baldinger témoignera après la guerre de la parfaite
santé mentale de Jägerstätter et de sa douceur : rien en lui du
fanatique. D'ailleurs, Franz dit souvent : ‟Je me confie à Dieu ;
s'Il veut que j'agisse autrement, Il me le fera savoir”.
AU CŒUR DE L'HOMME
C'est pour obéir à Dieu et sauver son âme que Jägerstätter
suit le jugement de sa conscience. ‟Au fond de sa conscience,
enseigne le concile Vatican II, l'homme découvre la présence d'une
loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est
tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et
d'accomplir le bien et d'éviter le mal, résonne au moment opportun
dans l'intimité de son cœur : "Fais ceci, évite cela". Car c'est
une Loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme ; sa dignité est de
lui obéir, et c'est elle qui le jugera” (Gaudium et spes, n. 16).
‟La conscience, écrit saint Bonaventure, est comme le héraut (1)
et le messager de Dieu ; ce qu'elle dit, elle ne le prescrit pas d'elle-même,
mais elle le prescrit comme venant de Dieu, à la manière d'un héraut lorsqu'il
proclame l'édit du roi. Il en résulte que la conscience a le pouvoir d'obliger.”
Cependant, ‟la conscience n'est pas une source autonome et exclusive
pour décider ce qui est bon et ce qui est mauvais” ; au contraire,
‟la dignité de cette instance rationnelle et l'autorité de sa voix et
de ses jugements découlent de la vérité sur le bien et sur le mal moral
qu'elle est appelée à entendre et à exprimer. Cette vérité est établie par
la "Loi divine", norme universelle et objective de la moralité”
(J-P II, Encyclique Veritatis splendor, 1995, n. 60). On le voit,
‟la conscience morale n'enferme pas l'homme dans une solitude insurmontable
et impénétrable, mais elle l'ouvre à l'appel, à la voix de Dieu” (ibid., n. 58).
Le concile Vatican II enseigne : ‟Les fidèles du Christ, pour se former la conscience,
doivent prendre en sérieuse considération la doctrine sainte et certaine de l'Église.
De par la volonté du Christ, en effet, l'Église catholique est maîtresse de vérité ;
sa fonction est d'exprimer et d'enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ,
en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité,
les principes de l'ordre moral découlant de la nature même de l'homme” (Dignitatis humanæ, n. 14).
IL N'EST PAS LE SEUL
Au début de mai, Franz est transféré à la prison militaire de Berlin-Tegel.
Il se rend compte qu'il n'est pas le seul à avoir refusé le service armé
et que bien d'autres ont accompli des actes héroïques de résistance
contre le national-socialisme. Il aide plusieurs d'entre eux à se
convertir et à accepter leur mort prochaine. Il apprend avec joie
que des S.S. se sont convertis avant de mourir.
L'aumônier Heinrich Kreutzberg,
qui a déjà assisté deux cents catholiques
condamnés à mort, lui témoigne affection et respect.
En prison, Franz, qui a toujours été un fermier consciencieux et compétent,
manifeste sa tendresse pour sa famille et sa sollicitude pour son
exploitation agricole. Le 12 mars 1943, il écrit à sa femme :
‟Il sera bientôt temps de semer l'avoine. Quand tu as des questions au sujet
de la ferme, écris-moi pour que je t'aide de mes conseils.
Dieu sait que j'aimerais pourtant mieux t'aider en personne.”
À son beau-père, il glisse avec tact un petit conseil : ‟Ne faites pas travailler les miens trop dur,
qu'il leur reste quand même un peu de temps pour méditer et prier.”
Jägerstätter passe cependant par des moments d'épreuve,
redoutant surtout que sa famille ne soit persécutée à cause
de lui. Son épouse le réjouit en acceptant chrétiennement
l'épreuve qu'elle traverse. Le 7 mars, Franziska lui écrit
: ‟Mon très cher époux... que la Volonté de Dieu soit faite,
même si elle fait très mal !... Tes trois petites filles
te réclament toujours et offrent des sacrifices de carême pour ton retour”.
Les trois filles de Franz Jägerstätter attendant son retour...
Le 9 avril, Franz écrit à sa femme, à l'occasion de leurs sept ans de mariage :
‟Quand je repense à toutes les grâces que j'ai reçues pendant sept ans,
cela me paraît quelquefois tenir du miracle... Voilà pourquoi, même si
nous redoutons l'avenir, nous pouvons être certains que Celui qui nous a
ainsi soutenus et comblés ne nous abandonnera pas. Si nous savons Lui
rendre grâces et continuer nos efforts vers la perfection, Dieu nous
accordera une joie éternelle... Devrais-je quitter cette vie, je
reposerais en paix dans ma tombe puisque tu sais que je ne suis pas un criminel.”
Les notes intimes prises par Jägerstätter pendant ses derniers jours montrent
sa force et sa liberté intérieures : ‟On cherche toujours à fléchir ma résolution
par le fait que je suis marié et ai des enfants. Mais le fait d'avoir femme et
enfants change-t-il une action mauvaise en une action bonne ? Ou bien une action
devient-elle bonne ou mauvaise simplement parce que des milliers de catholiques
la font ? À quoi sert-il de demander à Dieu les sept dons du Saint-Esprit, s'il
faut de toute façon pratiquer l'obéissance aveugle ? À quoi sert-il à l'homme
d'avoir reçu de Dieu intelligence et volonté libre, si, comme on le prétend,
ce n'est pas à lui de discerner si cette guerre que l'Allemagne mène est juste ou injuste ?”
Avant le procès, l'avocat de Franz, Feldmann, qui veut tout faire pour sauver son client,
a obtenu que le prévenu puisse rencontrer ses juges seul à seul. Ceux-ci l'exhortent à
‟ne pas les obliger à le condamner à mort”, en acceptant de servir dans une unité sanitaire.
Mais Franz décline l'offre, car il lui faudrait prêter le serment d'obéissance
inconditionnelle, ce qu'il ne veut à aucun prix.
L'arrêt du tribunal militaire de Berlin, en date du 6 juillet 1943,
constate que ce refus du service armé est un crime punissable selon la loi
du Reich, les motifs de conscience allégués n'étant pas recevables et l'accusé
n'étant pas jugé malade mentalement. Franz est donc condamné à mort.
‟J'AURAIS TANT VOULU”
Le 12 juillet, Franziska est autorisée à voir son mari ;
l'entretien de vingt minutes a lieu en présence du curé-remplaçant
de Sainte-Radegonde, l'abbé Fürthauer. Ce prêtre pusillanime
s'efforce en vain de convaincre le condamné de se soumettre pour sauver sa vie.
Le 8 août 1943, Franz est transféré à la prison de Brandenburg.
On lui annonce qu'il a été condamné à mort et que la sentence
sera exécutée le lendemain. Ce même jour, Franz écrit aux siens :
‟J'aurais tant voulu vous épargner toute cette souffrance que vous
avez à supporter à cause de moi. Mais vous savez ce que le Christ
a dit : Celui qui aime son père, sa mère, son épouse et ses enfants
plus que moi, n'est pas digne de moi (cf. Mt 10, 37)”.
Dans sa lettre d'adieu, écrite quelques heures avant l'exécution,
il ajoute : ‟Je remercie notre Sauveur de pouvoir souffrir et même
mourir pour Lui... Que Dieu daigne accepter l'offrande de ma vie
en sacrifice d'expiation non seulement pour mes péchés, mais
aussi pour ceux des autres”. Et il recommande de ne nourrir
de pensées de colère ni de vengeance contre personne : ‟Aussi
longtemps qu'un homme est en vie, c'est notre devoir de
l'aider par notre amour à marcher sur le chemin du Ciel.”
À 16 heures, le 9 août, Franz Jägerstätter est décapité.
Le soir du même jour, l'abbé Jochmann, aumônier de la prison,
déclare aux religieuses autrichiennes qui ont une clinique
à Brandenburg : ‟Je ne peux que vous féliciter d'avoir un
tel compatriote, qui a vécu en Saint et est mort en héros.
J'ai la certitude que cet homme simple est le seul Saint
qu'il m'ait été donné de rencontrer dans ma vie.”
Le corps de Jägerstätter est incinéré par ordre des autorités.
L'urne funéraire, après la guerre, sera enterrée au cimetière de Sainte-Radegonde.
L'abbé Kreutzberg, qui a connu Franz pendant ses derniers jours,
se demandera plus tard : ‟D'où vient la force de caractère de
cet homme simple ? Ses lettres montrent combien il vivait
des grandes vérités de sa foi catholique : Dieu, le péché,
la mort, le Jugement, l'éternité, le Ciel et l'enfer ;
ces vérités qu'il avait reçues au cours des homélies
paroissiales du dimanche. Spécialement, la pensée de l'éternité et
des joies du Ciel a été pour lui une grande aide et une précieuse
consolation dans ses souffrances et le douloureux adieu à sa famille.”
Le 1er novembre 2007, le Cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, déclarait :
‟Ce qui est fascinant chez Jägerstätter, c'est la clairvoyance du martyr
qui a, mieux que de nombreux académiciens de son temps, su discerner
l'incompatibilité entre le national-socialisme et la foi chrétienne.
Ce serait toutefois une profonde méprise de penser que par la béatification
de Jägerstätter sont condamnés tous ceux qui ont fait le service militaire.
Jägerstätter lui-même n'a jamais jugé les autres, mais il a seulement obéi
à sa conscience jusqu'au bout.”
Bienheureux Franz Jägerstätter, obtenez-nous de suivre la voix de notre conscience,
guidés par notre Mère la Sainte Église, sans nous laisser arrêter par aucune considération humaine.■
Dom Antoine Marie osb, abbé.
Ce "martyr de la conscience"
a été béatifié le 26 octobre 2007,
en présence de son épouse, âgée de 94 ans.
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