LA SÉPARATION
Le cercueil est descendu dans
la fosse. Le prêtre a laissé tomber l’ultime
bénédiction sur la dernière demeure de ces êtres que
nous avons tant aimés. Et tandis que les assistants
se retirent tour à tour, nous nous éloignons,
emportant dans notre cœur une blessure que rien ne
pourra guérir.
Il y a quelques jours à peine,
ceux qui nous ont quittés se trouvaient encore parmi
nous: leur visage rayonnait de joie; le bruit de
leurs conversations égayait nos maisons; nous
formions avec eux mille projets d’avenir... Nous ne
nous doutions pas qu’ils partiraient bientôt pour un
si long voyage, celui dont on ne revient pas.
Mais hélas! une maladie
souterraine, un accident imprévu, une longue
infirmité ont terrassé ceux que nous pensions
conserver encore longtemps. Car c’est le propre du
véritable amour que de vouloir le faire durer
éternellement. Ces êtres que nous aimions nous ont
regardés une dernière fois, ont murmuré une dernière
parole, puis leurs mains sont retombées inertes. Ils
nous ont dit adieu pour toujours...
Plus jamais leurs doux
regards. Plus jamais leurs étreintes. Plus jamais
leurs paroles consolantes. Plus jamais!
Et nos larmes viennent apaiser
un bref instant la douleur que la mort nous a
infligée. Cependant, soyez béni, ô mon Dieu, vous
qui avez daigné prendre un corps et une âme
semblables aux nôtres afin de ressentir dans votre
Cœur adorable l’amertume de nos deuils, vous faire
solidaire de nos plus cruelles séparations!
N’avez-vous pas connu la douleur de la mort d’un ami
devant le tombeau de Lazare? Et vous avez voulu
verser ces larmes si réconfortantes pour notre
pauvre misère, ces larmes qui étaient à la fois des
larmes divines et des larmes humaines!
Vous avez
voulu ces larmes pour nous montrer que ces eaux ne
sont pas des signes de faiblesse, mais le regret du
bonheur passé de nos Premiers Parents où les deuils
n’existaient pas.
Mais la mort chrétienne ne
permet pas le désespoir à ceux qui survivent.
N’est-elle pas un simple passage de l’âme vers sa
vraie demeure? Nous n’avons pas le droit de pleurer
comme ceux qui n’y voient qu’une fin matérielle. Ne
perdons pas espoir, nous reverrons un jour ceux que
nous aimons! Notre chagrin ne va pas sans
consolation: heureux ceux qui ont la foi, car c’est
par elle que nous retrouverons nos chers disparus.
Oui, nos amitiés survivent au
trépas. Oui, ceux qui nous ont quittés pensent
toujours à nous. De leur éternité, ils se penchent
vers nous pour nous montrer le chemin que Dieu a
tracé à chacun de toute éternité, ce chemin qui nous
rapproche chaque jour du moment béni des
retrouvailles éternelles.
‟Au Ciel, les
familles s’attendent et se reforment.”
L’ENVOLÉE DE L’ÂME
Tandis que le corps, ce fidèle
compagnon de notre voyage terrestre, s’en va dans la
terre pour y attendre sa résurrection, l’âme a paru
devant Dieu. Le livre de sa conscience s’est ouvert
aux yeux de son esprit. Elle y a lu jusque dans les
moindres détails l’histoire complète de sa vie: le
compte exact de ses péchés et le récit touchant des
miséricordes divines à son égard. Moment redoutable
où doit se régler son sort éternel. Toute une vie
pour en arriver à cette sentence finale et sans
appel: le bonheur éternel... ou le malheur sans fin!
Mais l’âme a choisi Dieu, elle
est sauvée! Quelle étrange et merveilleuse
existence s’ouvre devant elle!
Maintenant qu’elle a
été tirée de son enveloppe de chair, elle n’est plus
soumise aux influences matérielles. L’âme n’a plus
qu’un désir: posséder Dieu! L’ardeur intense la
plus extrême la consume. Son amour est si parfait,
si désintéressé, qu’elle se voit aux travers des
yeux de Dieu lui-même. Distinguant la moindre
impureté, la moindre tache, l’âme se précipite
d’elle-même vers l’antichambre du Bonheur éternel,
là où l’âme pourra se purifier. Telle la fiancée
qui, au matin de ses noces, préférera mille
tourments plutôt que de s’approcher de l’élu en
tenue négligée, elle embrassera le feu purificateur
du Purgatoire. Comme elle agit maintenant d’une
façon différente de celle dont elle agissait ici-bas!
Ô Dieu miséricordieux qui avez
permis un tel lieux de purification! Où iraient
toutes ces âmes qui ne sont pas assez pures pour
franchir le Parvis de gloire, et remplies d’un tel
amour pour vous que l’abîme de la Géhenne ne peut
les engloutir? Avec quel empressement elles
acceptent ce temps d’expiation, trouvant dans leurs
tourments des motifs de joies: joie d’être sauvées; joie de pressentir la présence de Dieu; joie
anticipée de leur entrée dans la Jérusalem céleste!
Le défunt n’a plus à craindre pour son salut, ni
d’offenser son Créateur.
NOS MORTS SE SOUVIENNENT
Mais si nos chers disparus
mènent désormais une existence toute nouvelle, il ne
s’ensuit nullement qu’ils nous aient oubliés. Oui,
nos morts se rappellent. En s’en allant, ils ont
emporté avec eux notre souvenir. Et ce n’est pas là
une exagération, inspirée par le parti pris de
consoler ceux qui restent. Dans le voyage de
l’au-delà, l’âme emporte avec elle toutes ses
affections légitimes.
En effet, comment nos morts
oublieraient-ils ceux dont les vies furent si
intimement mêlées aux leurs? Comment
oublieraient-ils ces parents qui leur ont donné le
jour? Et cette personne librement choisie au pied
de l’autel, à qui ils ont juré fidélité dans l’amour
conjugal, pour marcher sur la route de la vie?
Comment oublieraient-ils ces enfants qui sont la
chair de leur chair? Et comment pourraient-ils
oublier ces autres membres de leur famille qui, sans
cesse auprès d’eux, partagèrent constamment leurs
douleurs et leurs joies?
On dit souvent: ‟Prions pour
les âmes du Purgatoire, et en retour elles nous
obtiendront beaucoup”. Comment donc pourraient-elles
intercéder, si elles nous avaient oubliés? Oui,
même à travers leurs tourments, les âmes du
Purgatoires pensent à nous. Plus encore, la
situation où elles se trouvent les presse à faire
appel à ceux pour qui elles ne sont pas
indifférentes. Elles gémissent dans leurs supplices,
impuissantes à en diminuer par elles-mêmes
l’intensité. L’Église, dans son admirable charité, a
mis dans ses coffres des trésors pouvant soulager,
et même délivrer ces saintes âmes: messes, prières,
sacrifices, aumônes, prières indulgenciées... Dieu
est bon de remettre entre nos mains une part de
soulagement que nos défunts implorent, nous
permettant ainsi de faire pour eux une dernière
charité. La mort est un mystérieux trait d’union
pour les êtres qui se sont aimés ici-bas. L’âme du
défunt pense à nous, tandis que nous pensons à elle.
Les âmes du purgatoire portent
leur regard jusque sur la terre, n’étant pas
indifférentes à notre sort terrestre. Ceux que nous
pleurons ne nous ont donc pas vraiment quittés.
Êtres immatériels, la question de lieux et de
distance ne se pose pas pour eux. Ils s’occupent de
nous avec une tendre sollicitude, puisqu’ils nous
aiment. La mort ne détruit pas ce qui est bon, car
cela vient de Dieu. Plus encore, l’amour de nos
défunts est encore plus vif que durant leur séjour
terrestre, leur cœur étant complètement
désintéressé. Ils demandent pour nous la résignation
dans l’épreuve et le courage dans les luttes de la
vie. Ils demandent pour nous les faveurs
surnaturelles les plus précieuses. Et surtout, ils
demandent pour nous la grâce souveraine du salut!
NOS MORTS SONT VIVANTS
Dès que l’âme est pure et sans
tache, elle s’envole vers sa vraie demeure qui est
le Ciel. Dans un ineffable élan d’amour, elle
franchit le seuil du Paradis. Oh! le ravissant
spectacle dont la magnificence dépasse infiniment
toutes ses prévisions les plus grandioses!
Comme ils sont loin,
maintenant, les jours de son existence terrestre.
Comme elles sont loin les heures d’angoisse où son
corps agonisait sous l’étreinte de la maladie.
Désormais plus d’épreuves, plus de larmes, plus de
deuils!
Mais cette transformation ne
va-t-elle pas changer les sentiments que nos chers
défunts avaient à notre égard? Les délices qui les
enveloppent vont-ils leur faire oublier leurs amis
d’ici-bas?
La Vision béatifique, bien
loin de nous éloigner de leur souvenir, nous
rapproche d’eux d’une façon merveilleuse. L’amour
qu’ils nous portent est ravivé par une charité
parfaite. Ils nous suivent pas à pas dans les étapes
de notre pèlerinage terrestre. Ils nous voient dans
chacune de nos actions et comprennent chacune de nos
peines. Ils s’intéressent comme jadis aux événements
de leurs familles. Et lorsqu’aux grandes dates se
rassemblent ceux qu’ils ont quittés, ils assistent
invisibles à leur réunion.
Ils se réjouissent de nos
efforts, de nos progrès, de nos réussites. Ils
connaissent également nos épreuves. Nos défunts y
compatissent affectueusement, mais sans tristesse :
ils savent trop bien la valeur inestimable des
mérites que nous accumulons ici-bas et que le temps
de notre exil ne dure qu’un jour. L’âme qui est
rendue au Ciel regarde avec attendrissement les
prières et les sacrifices que s’imposent ceux qui
l’aiment dans le but de lui procurer le salut
éternel, qui lui est déjà gagné, mais qui est encore
ignoré par ses amis de la terre. Même si ces
offrandes sont détournées vers d’autres âmes dans le
besoin, le défunt garde éternellement en son cœur
ces marques d’amour véritable, et cela ajoute à son
bonheur.
Nos chers disparus ne sont pas
si loin que l’on ne croit, et leurs interventions
dans nos vies sont fréquentes. Sans cesse ils
travaillent dans le secret, bien souvent à notre
insu, arrosant notre âme des eaux de la grâce.
N’avons-nous pas quelques fois saisi dans notre vie
intérieure des faits bizarres, et que nous ne savons
comment expliquer? Soudain, au cours d’un travail,
d’une conversation, une pensée subite venue là sans
motif, sans liaison avec le cours de notre
réflexion? C’est une pensée de bien, un conseil de
dévouement, une inspiration vertueuse arrivée par
hasard au milieu de préoccupations étrangères. Ces
lueurs subites ne venaient pas de nous qui pensions
à autre chose: elles nous venaient de l’au-delà; de
notre ange gardien; de quelqu’un de nos morts resté
à nos côtés.
Et cultivées par leurs mains,
nos âmes grandissent. Nous attribuons nos progrès à
nos efforts, mais ils sont dus souvent à
d’invisibles travailleurs. Ils peuvent même nous
faire échapper à de réels périls matériels qui, une
fois passés, nous font dire dans notre langage
familier: ‟Je l’ai échappé belle!”. Le hasard nous a
sauvés, mais ce n’est que l’incognito de la
Providence et de ses ouvriers.
LE DOUTE
S’il est facile de prier et de
se souvenir des défunts dont la vie et la mort
furent édifiantes, qu’en est-il de ceux qui ont
passé le voile de la mort dans d’apparentes
mauvaises conditions? Certains gémiront en songeant
à leurs disparus: ‟Mon époux s’est donné la mort”;
‟Mon frère n’avait plus la foi”; ‟Ma fille
vivait dans le concubinage”; ‟Mon fils menait
une vie de débauche”; ‟Ma meilleure amie
n’allait plus à la messe”...
Oh! chers défunts bien-aimés,
où êtes-vous en ce jour? Avez-vous choisi le bon
chemin? Serons-nous un jour réunis dans un Bonheur
impérissable? Une voix intérieure nous parle et nous
murmure: ‟Heureux celui qui espère en la miséricorde
de Dieu !”
Si une bonne vie est un signe
de prédestination, le salut de chacun n’est jamais
certain et seule l’Église dispose des lumières
nécessaires pour nous certifier l’entrée dans la
Gloire d’un bienheureux. Il serait donc présomptueux
de conclure par nous-mêmes que telle personne est au
Ciel et telle autre en Enfer! D’ailleurs, l’Église
ne se prononcera jamais à savoir si un défunt est
damné, se réservant le privilège de porter à notre
connaissance le destin éternel d’un bienheureux dans
le but de notre édification.
Et
non seulement il ne nous appartient pas de nous
substituer au grand Juge face à nos morts, mais il
est de notre devoir de prier pour eux. Il ne faut
JAMAIS douter de la miséricorde de Dieu, et à plus
forte raison ne JAMAIS cesser de prier pour l’âme de
nos disparus dont le destin nous angoisse. Dans la
vision de Dieu tout est présent: le passé, le
présent et l’avenir. Des prières, des messes dites
après la mort d’un défunt peuvent donc avoir une
portée décisive sur son salut éternel. Les prières
d’aujourd’hui sont peut-être la clef du Ciel que
notre défunt aura saisie sur son lit de moribond et
ce, même vingt ou cent ans après sa mort !
NOTRE PROPRE MORT
Seule la mort est certaine
pour chacun de nous. Plus tôt que nous le pensons,
l’heure de notre trépas marquera la fin de notre
voyage ici-bas. À notre tour nous suivrons la route
qu’ont prise nos chers disparus. Ils seront là: nos
parents pour nous introduire; nos amis pour nous
accueillir. Nous les reverrons dans une splendeur
d’une beauté dont nous ne soupçonnions même pas
l’éclat. Sans défauts et immergés dans l’Amour de
Dieu, nous les reconnaîtrons sans peine, la
physionomie de leurs âmes constituant l’originalité
propre de chaque être humain. Nous retrouverons
toutes les qualités naturelles de leurs caractères.
Déjà sur la terre nous pressentons cette empreinte
de Dieu dans le cœur de ceux que nous aimons.
Oh! consolante certitude: ils
seront toujours les mêmes! Nous reprendrons avec eux
cette vie si douce, cette vie que la mort a
suspendue brièvement. Là-haut, nos cœurs seront
transparents comme un cristal limpide. Nous y lirons
mutuellement nos sentiments présents et passés.
Alors seront pleinement réparés ces tristes
malentendus, ces petits froissements, ces peines
légères qui nous firent tant souffrir. Tout ce qui
n’a pas été exprimé sera dit, tout ce qui s’était
brisé sera reconstruit.
Et ces millions d’Anges et de
Bienheureux! Notre entrée dans la Jérusalem céleste
sera triomphale! D’un seul regard nous
distinguerons tous les habitants de la divine
Patrie, nous trouvant à l’aise au milieu d’eux,
comme avec des personnes longtemps familières. La
Vierge Marie sera là, et au bout du cortège le Roi
souverain nous recevra comme son bien le plus
précieux, Lui qui de toute éternité nous a choisis
pour partager un bonheur incommensurable.
Nous comprendrons alors les
bienfaits des secours du Ciel obtenus par les
prières et les dévotions que nous avons pratiquées
durant notre vie terrestre, et dont nous ne pouvions
saisir toute la grandeur. Les grâces obtenues à
travers les sacramentaux nous seront dévoilées dans
toutes leurs magnificences, et nous découvrirons le
nombre exact de périls physiques et spirituels ainsi
évités par ces saints boucliers. En se remémorant
nos pieuses pratiques, une pluie de bienfaits
retombera sur ceux qui nous survivront, et beaucoup
seront réconfortés.
IL N’Y AURA PLUS DE FIN
Cette glorieuse réunion se
doublera de la grandeur de Dieu qui, par son
admirable bonté, fera renaître la chair de toutes
ses créatures: de nos premiers Parents, jusqu’au
dernier défunt de la terre. L’âme et le corps seront
à nouveau unis. Oui, nous le croyons Seigneur, à la
fin du monde votre souffle passera sur la terre et
ranimera la poussière des tombeaux. N’est-il pas
juste, d’ailleurs, qu’ayant participé à la
sanctification de nos âmes, nos corps partagent la
récompense?
Nos chairs ressuscitées
garderont leurs particularités propres: l’allure
extérieure; la taille; la physionomie. Seules les
imperfections seront à jamais évincées. Chaque
visage d’élu conservera son caractère distinctif et
les corps atteindront l’idéal de la perfection. Que
de nouvelles, que de merveilleuses joies nous
procurera la résurrection! Nos yeux verront de
nouveau. Nos bouches parleront à nouveau. Nos
oreilles entendront à nouveau!
Oh! joie d’étreindre ceux que
nous avons perdus! Joie de retrouver, après un si
long silence, le son de ces voix familières! Joie
de déposer sur ces fronts le baiser tant attendu du
revoir! Joie de tenir ces mains qui nous ont si
souvent secourus! Joie de partager ce bonheur avec
ceux dont nous pleurons à présent le départ! Ô joie
qui n’aura pas de fin! ■
BIBLIOGRAPHIE :
"Nos Amitiés après la mort",
Chanoine R. De Thomas de St-Laurent.
"Nos Morts au Purgatoire, au
Ciel", Mgr J.-A. Chollet.