Madeleine, femme de prière, consulte toujours le
Ciel avant de faire un pas. Un voyage s’organise.
«Seigneur, dois-je partir ?» Mais le Seigneur se
tait et Madeleine s’impatiente : «Seigneur,
éclairez-moi ! Dois-je prendre cet avion ?» Enfin,
la réponse vient : «Prends-le. Je serai avec toi.»
Une fois bien installée dans la cabine entre les
ailes, sereine et confiante, Madeleine sort son
chapelet et se met à le dire, les paupières closes.
Mais en rouvrant les yeux après le décollage, elle a
toute une surprise: une épaisse fumée noire se
dégage de l’aile gauche ! «Problème technique, dit
le pilote. Nous faisons demi-tour.»
Il n’a pas fini
de parler que de grosses flammes oranges se mêlent à
la fumée... «Désolé, reprend-il, mais nous allons
devoir atterrir dans les champs.»
Avec une ferveur décuplée par l’angoisse,
Madeleine, le teint livide, se remet à prier en
suppliant le Ciel d’intervenir promptement. Elle
invoque nerveusement le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, la glorieuse Mère de Dieu et la Milice
Céleste, les vierges et les martyres, les Saints de
tous les temps et de tous les pays, les Saints
Innocents d’hier et d’aujourd’hui et même ceux de
demain... Elle alerte également toutes les Madeleine
d’En Haut : Madeleine Sophie Barat et Madeleine de
Pazzi, la grande Marie-Madeleine et plusieurs autres
encore.
Son âme se tourne enfin vers l’Archange saint
Michel pour qu’il déploie ses ailes sous les ailes
de l’avion afin de le poser dans les champs qui
s’approchent... Le choc est effroyable, mais l’avion
reste entier ! Pas une aile arrachée, pas
d’explosion non plus, car les flammes disparaissent
sous une pluie généreuse...
Une fois tout le monde sorti, le regard hébété,
mais vivant, bien vivant, Madeleine, tremblant de
tous ses membres, sent monter dans son cœur une
terrible colère...
Sous un déluge de pluie, elle
lève les bras au ciel et se met à hurler:
«Seigneur, merci pour ce miracle! Mais pourquoi,
POURQUOI M’AVOIR LAISSÉE MONTER DANS CET AVION ?!
Vous aviez pourtant dit : «Je serai avec toi» et
voilà que l’avion tombe! Est-ce Vous qui me parliez
ou est-ce l’esprit du Mal? Est-ce que Vous faites
exprès de me briser les nerfs ou est-ce que Vous
vouliez mettre ma foi à l’épreuve?»
«Non, répond
le Seigneur de Sa voix la plus douce. Je connais ta
foi et J’étais avec toi comme J’étais dans la barque
avec Mes chers Apôtres à l’heure de la Tempête. Seulement, j’avais besoin de quelqu’un dans l’avion
pour prier et Me demander de sauver toutes ces vies.
Tu étais en service.»

Cette parabole moderne interpelle les croyants
dans toute leur attitude face au service de Dieu;
attitude généreuse dans son intention même, mais
bien souvent déviée par une longue habitude de la
consommation...
Nous protestons au Ciel que nous
voulons Le servir, mais dès qu’Il nous exauce et
nous met au travail, voilà que nous ruons! Combien,
dans les épreuves où le Ciel attend d’eux une foi
vaillante et forte, conservent l’attitude du client
mal servi ou de l’ami trahi par celui qui -
croit-il - lui doit sa protection! Et l’auteur de
ces lignes est certainement du nombre.
Quand Dieu
l’a assurée qu’elle pouvait prendre l’avion et qu’Il
serait avec elle, Madeleine s’est installée dans la
douce certitude que tout se passerait bien. Mais la
réalité n’est pas aussi limpide, car l’esprit de
croisière, qui trop souvent nous guide, se couvre
facilement du beau nom de Confiance! La confiance,
cependant, c’est servir en sachant que rien n’est
garanti, que Dieu ne nous doit rien, pas même Sa
protection, et que même s’Il connaît le nombre de
nos cheveux, Il a laissé scalper bien des saints
avant nous...
Servir dans la confiance est une voie
de courage où l’on accepte d’avance ce que décide le
Maître, un renoncement tacite à tout confort moral
parce qu’on sait Qui est là, toujours à nos côtés,
quoi qu’il arrive. C’est la conviction ferme que
Dieu respectera nos frêles limites humaines et qu’Il
reste le Maître de toutes les situations, même
celles qui ont un fort parfum d’Apocalypse...
L’aventure mouvementée de la priante Madeleine est
un puissant rappel que tous les confirmés doivent
servir et combattre.
Équipés pour lutter et pour
tenir le coup, ils sont appelés à être - comment
pourrait-on dire ? - des chrétiens tout-terrain,
comme ces forts véhicules dotés d’énormes roues qui
peuvent passer partout, même dans les marécages.

Prier sur le terrain est déjà dans les mœurs de ceux
qui montent la garde autour des avortoirs, mais ce
terrain d’action pourrait être également un hangar,
une tranchée, un train ou... une prison.
C’est Dieu
qui place Lui-même Ses pions vivants et libres, afin
qu’ils soient pour Lui des auxiliaires fidèles, de
bons ambassadeurs de Sa miséricorde et capables au
besoin d’user, comme Lui, du fouet... Dans nos temps
tourmentés qui s’aggravent constamment, ils verront
s’écrouler les édifices humains, mais verront
également la foi se rebâtir et ils participeront à
cette résurrection. Partout, ils se trouveront au
cœur de l’événement, toujours au bon endroit,
toujours au bon moment. Par leur présence aimante,
consolante, secourable, ils feront contrepoids à
tout déséquilibre et brilleront dans le noir comme
des phares d’espérance. Soldats de l’Immaculée, la
Couronnée d’Étoiles, Talon béni de celle que Dieu fit
Reine du Ciel, ils marcheront bravement malgré le
goût amer de l’insécurité et malgré les morsures des
enfants du Serpent. C’est par ce Talon fort que
viendra son triomphe.
Le serviteur n’est pas plus grand que son Maître
et le Maître Lui-même est venu pour servir.
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Un avion décollant percute un vol d’oiseaux. Les
réacteurs explosent.

À bord est un banquier qui,
juste la veille, venait de redécouvrir une très
puissante prière. Pour avoir prié ce chapelet à
l’hôtel avant sa réunion, exactement 24 heures plus
tôt, il se souvient encore très clairement du
répons : «Ayez pitié de nous et du monde entier !»
Comme l’avion en détresse descend vite vers les eaux
où le vaillant pilote essaie de le poser, le
banquier, pétrifié, songeant à sa jeune femme et à
ses quatre enfants qui attendent son retour et
pensant à la mort qui va fondre sur lui, répète de
toute son âme : «Seigneur, ayez pitié de nous!
Ayez pitié de nous !»
Le choc est effroyable, mais
l’avion reste entier. Pas une aile arrachée et tout
le monde est sauvé. C’est le vol 1549 de l’US
Airways miraculeusement posé le 15 janvier 2009 sur
les eaux de l’Hudson (New York) à 3 h 30 précises,
en pleine Heure de la Miséricorde.
Le banquier s’appelait Fred Berretta et, lui aussi,
il était en service.■
Mona Mikaël