Par l'abbé Philippe Laguérie, ipb
On sait les merveilles de grâces obtenues par la récitation du chapelet
et l’insistance renouvelée des apparitions mariales comme des
Pontifes Romains pour que les fidèles s’en acquittent pieusement.
Pourtant, à bien regarder l’histoire et les documents officiels,
l’insistance qu’ont mise les papes, au cours de longs siècles,
à promouvoir la récitation, par tous les chrétiens, de cette minuscule
prière de l’Angélus est sans proportion et proprement impressionnante.
Le décalage apparent entre le côté rudimentaire, j’allais dire dérisoire,
de cette prière et les effets qu’on en attend est simplement spectaculaire.
La raison en est simple: l’Angélus est la prière de tous les chrétiens contre
les dangers, les périls même, qui menacent l’Église, les chrétiens,
la chrétienté… Mais d’abord un peu d’histoire.
* * * * *
La récitation de la première partie du «Je vous salue Marie»
est attestée en Occident dès saint Grégoire le Grand (594-610),
et le pape la recommande en certaines occasions: pendant l’Avent,
avant et après l’office divin, à l’offertoire de la Messe.
Notre «Je vous salue Marie» en sa forme actuelle (avec sa seconde
partie qui n’est pas dans l’Écriture) nous vient d’Orient et se trouve
attestée dès le 7ème siècle. On la trouve intégrale dans le «Traité des rites du baptême»
de Sévère, Patriarche d’Alexandrie (647). Elle remonterait, selon la tradition,
au Concile d’Éphèse lui-même (437). Cette formule complète ne parvient en
Occident qu’au 10ème siècle (Tolède). Ce sont les fils de saint François qui
rajoutent le «maintenant et à l’heure de notre mort» au 12ème siècle.
Saint Bonaventure, et son ordre, sera le principal propagandiste de ces
«trois Ave au son de la cloche» du matin et du soir.
L’Angélus, proprement dit, naît au 11ème siècle. Le pape Urbain II en
1090, lorsqu’il met en marche la première croisade, ordonne que toute
la chrétienté, au triple son de la cloche, matin et soir, récite trois fois la
salutation angélique. Il s’agit de soutenir la marche des croisés…
Ce pieux pape était justement persuadé que si l’ensemble des chrétiens
priait sur la même intention, il serait nécessairement exaucé.
Les évêques répercutent dans toute la chrétienté, par des ordonnances
et même des conciles locaux, ces volontés du pape. L’engouement
des fidèles est partout unanime.
L’Angélus est né, bien avant le chapelet donc et dans un but précis…
Au 13ème siècle le pape Grégoire IX relance l’Angélus
contre les atteintes à l’Autorité de l’Église incarnées par l’empereur
Frédéric II. Comme la ville de Saintes se distinguait par son
zèle à la récitation de l’Angélus, le pape Jean XXII l’en félicita par un Bref (1),
peu de temps avant de produire le document capital sur le sujet. Sa bulle (2),
datée du 13 octobre 1318, universalise la récitation et l’assortit d’indulgences.
Il avait été très frappé, tout juste avant, par un miracle spectaculaire dû à
l’Angélus, survenu à Avignon. Je laisse la parole à Mgr Gaume:
« La justice de cette ville (pas l’Église !) venait de condamner
deux criminels à être brûlés vifs. L’exécution avait lieu la veille
de l’Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie. Le bûcher
était allumé. Comme il en approchait, un des coupables ne cessait
d’implorer la Sainte Vierge, lui rappelant les hommages qu’il lui avait
rendus (ces fameux trois Ave). Cependant les bourreaux le jettent
dans le feu. Mais, ô miracle ! il en sort comme les hébreux de la fournaise
de Babylone: sain et sauf et ses habits intacts. Quant à son compagnon,
il fut en un instant dévoré par les flammes. Saisi de nouveau, celui qui avait
échappé à la mort est rejeté dans le bûcher. Il en ressort sans brûlure
et plein de vie, comme la première fois. Sa grâce lui est accordée et on
le conduit en triomphe à l’église de la Sainte Vierge, pour rendre grâce à sa Libératrice ».
La ville d’Avignon dressa un procès-verbal authentique de l’événement. Force de l’Angélus !
Et l’Angélus de midi ?
De pieux auteurs, tous un peu gallicans (3), en attribuent la paternité
au roi Louis XI qui ordonne, en 1472, «afin d’obtenir la paix publique»,
d’adjoindre la sonnerie de midi aux deux précédentes. Soit. Cependant
c’est en 1455 que le pape Calixte III avait déjà prescrit la sonnerie de midi
et l’on va comprendre pourquoi. Il semble que Louis XI n’ait fait qu’appliquer
à la France, et en édulcorant leurs visées, les sages décisions du pape, sensiblement plus précises.
Le terrible Mahomet II venait de prendre Constantinople (1453) et avait juré,
en faisant manger de l’avoine à son cheval sur le maître autel de [l'église] Sainte-Sophie,
qu’il en ferait rapidement de même sur l’autel majeur de [la basilique] Saint-Pierre !
Sa formidable armée de 300 000 hommes, ses canons de 12 mètres et
sa cruauté légendaire faisaient de ses propos plus qu’une vantardise de
vainqueur grisé. D’autant qu’il commençait à s’installer tranquillement,
sans coup férir, sur les comptoirs de l’Italie et que les princes chrétiens,
impuissants et complices, lui ouvraient leurs portes et lui "graissaient la patte".
Éternel recommencement de l’histoire…
C’est bien contre ce fléau, qui aurait dû anéantir la chrétienté d’Occident
comme il avait vaincu celle d’Orient, que Calixte III eut l’inspiration de créer
le troisième Angélus. Malgré les vociférations du pape, qui ne se contentait
pas de faire prier mais hurlait vers les princes chrétiens, personne ne bougea.
Pas même la France de Louis XI (1461-1483) qui possédait la seule armée
capable (et encore...) de s’opposer. Les pieuses dispositions de ce grand roi
sont bien tardives et… seulement pieuses. Brusquement, en 1481, Mahomet II
s’effondre, frappé d’un mal inconnu, à l’âge de 49 ans. Ouf ! C’est bien Calixte III
et son Angélus de midi qui l’ont stoppé.
Alexandre VI relance l’Angélus aux mêmes intentions que Calixte III.
Léon X le réactive, surtout celui de midi et en Allemagne, contre la
déchirure luthérienne de la chrétienté: il avait connu une telle efficacité.
Pendant les guerres de religion, ce sont les Chartreux qui imposent à toutes
leurs maisons sa récitation, contre les exactions huguenotes (4).
C’est le pape Saint Pie V (toujours lui) qui publie l’Angélus complet,
tel qu’il se récite depuis, dans l'édition officielle du Petit Office de la Sainte Vierge.
Par la suite, nombreux sont les papes qui relanceront la récitation de l’Angélus
et l’assortiront d’indulgences nouvelles: Benoît XIII en 1724, Léon XII qui
accorde l’indulgence plénière à la récitation continue pendant un mois.
Les papes, jusqu’aux plus récents, conservent l’habitude de leurs devanciers
de le réciter place Saint-Pierre avec les nombreux fidèles chaque fois présents.
* * * * *
Et nous autres ? On se souvient que le succès de l’Angélus,
d’après le pape Urbain II son instigateur, tient aussi à la masse
de ceux qui le récitent. C’est l’Évangile à l’état pur: «Là où deux ou trois se rassemblent en mon nom…».
Que dire d’une masse de chrétiens qui se remettrait à réciter quotidiennement
cette merveilleuse et courte prière trois fois le jour ? Les motifs en sont, hélas,
toujours les mêmes et plus impérieux que jamais. Voyons cela.
Les vrais historiens m’ont appris que l’histoire se réalise toujours,
à moyens et longs termes, sur la seule question de la démographie.
Jean de Viguerie, Jean Dumont, Michel de Jaeghère et tous les autres
démontrent que les péripéties des politiques, bonnes ou mauvaises,
ne gèrent que le court terme. L’empire romain s’est écroulé de sa démographie
insuffisante et du recours nécessaire aux barbares, jusque dans son armée quasi
invaincue depuis cinq siècles. Quand lesdits barbares s’aperçurent qu’ils
commandaient aussi bien que les généraux romains des troupes qu’ils
composaient pour moitié, ils se mirent à leur compte. Le génie militaire
de Bonaparte est incontestable; mais eut-il tenu tête quinze ans à l’Europe
sans cette France de 26 millions d’habitants quand l’Angleterre n’en comptait
que 4,5 ? Et l’Allemagne prussienne de Bismarck nous le fit bien savoir quand,
forte de ses 80 millions de ressortissants, elle entreprit une France qui avait à
peine dépassé les 30. La boucherie de [la guerre de] 1914 en est une parce que les deux pays
étaient à peu près égaux en matériel humain et alignaient l’un et l’autre environ
105 divisions… Les plus grands civilisateurs de tous les temps, comme Alexandre le Grand
ou Charlemagne, sans préjudice de leur singulier génie personnel, ne le purent
que grâce à un capital humain aussi exceptionnel.
L’affreuse médiocrité des [hommes] politiques d’aujourd’hui ne fait que renforcer cette constatation.
Ils ne sont même plus efficaces sur le court terme. Il n’y a plus d’enjeux,
de victoires ou de défaites, de trouvailles ou de sanctions. On en prend d’autres,
on recommence et c’est chaque fois la même chose. Plus de roi ni de reine,
plus de fou ni de cavalier, que des pions interchangeables !
C’est dire l’extraordinaire importance, seule déterminante, que revêt le facteur humain, démographique.
Humainement parlant, c’est-à-dire que, sans une intervention divine spéciale,
la cause de la religion de Jésus-Christ est politiquement dépassée parce que
démographiquement perdue. Les masses islamiques qui s’installent (presque) pacifiquement
en tous les pays de l’Europe, tiennent déjà le Moyen et l’Extrême-Orient, et font basculer l’Afrique.
Elles l’emporteront à terme sur toutes autres considérations. Que ça nous plaise ou non,
c’est le Colonel Kadhafi qui a raison : il n’y a pas de miracle politique, et je n’attends nullement
de la récitation de l’Angélus, que je propose massivement, un tel événement.
Sainte Jeanne d’Arc elle-même fut le déclencheur miraculeux d’une rénovation politique et religieuse,
mais n’a point accompli de miracles: parce que Dieu n’en fait point de cette sorte.
Jamais Dieu ne fait l’économie des causes secondes dont la principale est l’homme.
Autant prier pour que les 80 millions de turcs se réveillent demain matin catholiques
et baptisés ou que tous les dirigeants des États occidentaux ouvrent les yeux en
cette même nuit (ce qui me paraît plus improbable encore) !
J’attends, de la reprise massive de l’Angélus, que Dieu relève des causes secondes moribondes,
change le cours d’une histoire irréversiblement néfaste, létale (mortelle) pour le nom chrétien.
Si humainement les jeux sont faits, reste le recours surnaturel à Dieu,
ne serait-ce que pour garder la Foi, que vos enfants soient baptisés,
fiers vos jeunes gens, et vos jeunes filles libres d’épouser qui elles veulent
à visage découvert. Sinon, dans 25 ans, on vous les lapidera.
Je n’ai rien contre articles, pétitions, lettres, plaintes, procès et manifestations en ce sens, mais je n’y crois plus guère. (...)
L’islam propose 5 points. Je ne vous en propose que trois !
La récitation de l’Angélus, tous les jours, trois fois (le matin, le midi et le soir),
au son de la cloche si vous en avez une sous la main. Seul, en famille,
en voiture ou à pieds qu’importe, mais toujours dans l’intention des papes.
Il se trouve que beaucoup de nos clochers, sur demande des riverains,
qui pourtant ne savent même plus pourquoi, sonnent encore l’Angélus.
C’est tout de même la meilleure manière de le réciter, avec l’Église,
dans l’Église, pour l’Église. Et je vous dis que Dieu fera le reste, par la Vierge Marie, comme d’habitude.
Allez: on prend cette résolution aujourd’hui même, sans faute; c’est parti ! ■
Site produit par la revue "En Route".
Autorisation de diffuser ce document, avec mention de la source.