Pourquoi souffrir ?
Sermon prononcé à l'Université de Budapest par Mgr Tihamer Toth
Parler de la souffrance a toujours été d'actualité, mais jamais d'une telle actualité que de nos jours.
"Vivre c'est souffrir", cela a toujours été vrai, mais jamais aussi vrai qu'aujourd'hui.
Depuis des milliers d'années, depuis que la pluie coule sur la terre,
coulent aussi les larmes amères de ceux qui souffrent, mais un fleuve
aussi gros de misère et d'amertume n'avait encore jamais mugi dans cette vallée de larmes.
De même que les mouches bourdonnent le soir autour de la lampe,
de même les soucis autour de notre âme: que mangerons-nous, que deviendront nos fils,
que nous réserve l'avenir?
L'homme a déjà tout essayé pour échapper à la souffrance... en vain.
Que de fois il a changé les formes de gouvernement, que de fois il a modifié les institutions sociales,
que de fois il s'est efforcé d'étouffer son chagrin dans l'ivresse pour oublier!...
Ce fut en vain: l'homme n'a jamais pu désapprendre à verser des larmes et, malheureusement,
il faut bien le dire, il ne pourra jamais s'en préserver. Ah! globe terrestre déjà vieilli,
si l'on pouvait te presser comme une éponge, que découlerait-il de toi?
Rien que des larmes, rien que des amertumes, rien que des soupirs, rien que du sang!
La souffrance et la vie humaine sont entre elles intimement unies.
Mais si elles sont intimement unies, alors il nous faut les regarder en face.
Si nous ne pouvons pas les éviter, tâchons de jeter un coup d'œil sur elles,
sinon parfaitement clair, du moins le plus possible, tâchons de pénétrer dans
l'immense problème de la destinée humaine.
Mes frères, je sens que la première question à laquelle il me faut répondre,
(Ah! que de fois il faut répondre à la plainte d'innombrables infortunés) est celle-ci:
Pourquoi Dieu nous envoie-t-Il, coup sur coup, tant de souffrances,
tant d'épreuves qui remplissent la vie humaine? À moi précisément,
moi qui ai toujours voulu le servir fidèlement, moi qui observe en tout ses commandements.
Comment Dieu peut-Il être si "dur", si "sévère", ah! dirai-je? si "cruel" envers nous?
Constamment les hommes font entendre cette plainte:
ces hommes aux prises avec les préoccupations matérielles et les désillusions,
ces hommes qui traînent la croix d'un mauvais mariage, ces hommes brisés par le chagrin:
qu'il est sévère Dieu qui laisse venir sur nous tant de souffrances!
Que dites-vous, mes frères? Pourquoi Dieu est-il si "sévère"? pourquoi est-il si "dur"?
Ne savez-vous pas, mes frères, que la plupart des souffrances ne viennent pas de Dieu,
c'est-à-dire que ce n'est pas Lui qui veut que l'homme souffre autant? Il ne veut pas?
Comment doit-on le comprendre?
Dans ce sens que le monde actuel n'est plus tel que Dieu l'avait prévu à l'origine,
tel qu'Il l'avait créé, mais que le péché de l'homme est venu contrarier le plan divin
et que sous le poids de ce bouleversement, à la suite du péché originel, le monde entier gémit:
la nature inerte aussi bien que la nature vivante.
Quelle intéressante idée! si notre sainte religion ne nous apprenait rien relativement
au premier faux-pas de l'humanité et à ses conséquences, au péché originel,
aux monstrueuses contradictions de la vie humaine, à l’effroyable injustice, alors nous
devrions cependant sentir que quelque chose n'est pas en ordre, que la vie humaine
n'a pas pu sortir ainsi de la main du Créateur, que donc, dès le commencement,
une grosse faute a dû être commise.
Oui, mes frères, il nous faut dire, en toute franchise et en toute vérité que, sur terre,
il y a eu et il y aura toujours plus de souffrances qu'on ne saurait dire, que Dieu n'a pas
voulues et ne veut pas et qui ont pour auteur l'homme, uniquement l'homme mauvais:
la cupidité, l'égoïsme, l'orgueil de l'homme.
Citerai-je quelques exemples? Uniquement pris au hasard.
À Rome, j'ai vu le gigantesque Colisée, les ruines de ce cirque sont encore impressionnantes,
c'est là que jadis, chaque soir, devant un peuple et un empereur assoiffés de sang, retissait
le terrible salut des gladiateurs qui allaient combattre à la vie et à Ia mort:
‟Ave Caesar, morituri te salutant!” (Salut César, nous qui sommes sur le point de mourir te saluons!)
Ensuite, ces hommes se précipitaient les uns contre les autres, pour se tuer mutuellement;
pendant ce temps d'autres hommes y prenaient leur plaisir. Dites-moi: Dieu n'avait certes pas voulu cela.
À Tunis, encore aujourd'hui, on montre le marché aux esclaves,
avec les poteaux et les colliers de fer où les esclaves, nos semblables,
avec des âmes immortelles, étaient attachés. Et Caton, le sage Caton, écrit quelque part:
‟Il faut savoir se défaire du vieux bétail et des vieux esclaves”.
Entendez bien: d'abord le bétail, ensuite les esclaves. Dieu n'avait certes pas voulu cela.
Ce sont des exemples du passé. Aujourd'hui, il n'y a plus d'esclaves ni de gladiateurs.
Soit! Écoutez donc des exemples d'aujourd'hui.
Voici une veuve au désespoir, à peine peut-elle encore pleurer.
Elle a un fils qui s'enivre constamment, qui se livre constamment au
chantage et ne trouve jamais une bonne parole pour sa mère. Dieu n'a certes pas voulu cela.
Voici un père de famille. Il a six enfants, six enfants qui ont faim.
Il accepterait n'importe quel travail, n'importe lequel. Mais on n'a pas besoin de lui.
Entre temps, les pâles enfants pleurent d'avoir faim. Dieu n'a certes pas voulu cela.
Pourquoi Dieu tolère-t-Il la souffrance?
Direz-vous encore, mes frères, que Dieu est trop "dur",
parce qu'Il laisse arriver tant de souffrances sur les hommes? Les laisse-t-il?
Non, non. La cause première des peines et des souffrances sans nom,
de tant de misères, est l'homme lui-même, la nature humaine corrompue.
Oui, si la vie de ce monde est si amère, nous autres hommes nous en sommes pour la plus grande partie responsables.
Je sais, je sais ce que vous allez répondre. Vous allez dire, mes frères,
‟si Dieu ne veut pas la plupart des souffrances, du moins, Il permet, Il tolère que l'homme souffre. Pourquoi le tolère-t-il?”
Ceci est autre chose. C'est vrai, Dieu pourrait par une continuelle intervention
suspendre l'ordre et les lois de la nature. Il y a huit jours, le dimanche de Pâques,
à Lisbonne, une église bondée de fidèles s'est écroulée. Tout à coup la voûte
s'est effondrée et les gémissements et les plaintes de 400 blessés ont monté vers le ciel.
L’église s'est écroulée. Dieu n'aurait-Il pas pu faire que les murs restassent debout?
S'Il l'avait fait, 400 personnes auraient été arrachées à la souffrance.
Oui, Il le pouvait. Pourtant, Il ne l'a pas fait.
Et Il ne fait pas en sorte que nous soyons délivrés de tout malheur.
II voit que nous souffrons. Il permet que nous souffrions. A-t-on le droit pour cela de dire que
Dieu ne nous aime pas? Oh! non. Mais voici ce que nous dirons:
Si Dieu tolère que ses créatures les plus aimées versent d'innombrables larmes,
si Dieu permet que la vie de l'homme soit pleine de souffrances, c'est qu’Il a des raisons très graves,
c'est qu’Il poursuit un but élevé par la souffrance.
Et savez-vous quelle est la plus belle marque d'une âme chrétienne?
Qu'elle ne souffre pas? Mais non! Elle souffre, elle pleure elle aussi.
Mais elle ne se plaint pas, elle ne murmure pas, elle ne désespère pas;
mais elle s'efforce de réaliser ce que Dieu exige d'elle, même s'Il permet
que s'abatte sur elle tel ou tel malheur. ‟Dieu est mon bon Père”, c'est ma conviction.
S'Il tolère que je souffre autant, c'est qu'Il a en vue un but caché.
Le plan de Dieu
Examinons, mes frères, le plan suivi par Dieu dans nos souffrances.
a) Si je réfléchis simplement avec ma seule raison, j'arrive déjà à de remarquables constatations.
Pourquoi Dieu permet-Il que nous souffrions tant? Fréquemment dans le but de protéger notre vie corporelle, notre santé.
Pourquoi la dent mauvaise fait-elle mal? Si elle ne faisait pas mal, il arriverait que chacune
se gâterait et que nous perdrions toutes nos dents.
Pourquoi la brûlure fait-elle mal? Pour qu'on prenne garde de se brûler.
Je vais plus loin et je demande: pourquoi la mort, la plus pénible des souffrances terrestres?
Pour que l'on aime la vie de la terre, le plus grand bien terrestre. Si la mort n'était pas si effrayante,
trop de gens s'en débarrasseraient à la légère.
Voilà comment on répond à la question. Mais n'est-ce pas là une faible réponse?
Mais la foi du chrétien le fait pénétrer plus avant dans sa réponse.
b) Savez-vous, mes frères, ce que dit la foi, ce que la souffrance et le malheur veulent dire dans la main de Dieu?
Peut-être, est-ce son unique moyen de sauver votre âme?
Ah! mes frères, je touche ici la plaie vive de bien des hommes d'aujourd'hui.
II y a des hommes dont c'est la perte que leur bien-être sur la terre;
des hommes qui se sont arrangés pour cette vie, et uniquement pour cette vie,
de telle manière qu'ils ne veulent pas croire qu'ici-bas, sur terre, tout n'est qu'un
commencement, un essai, un travail inachevé. De tels hommes sont sourds et
aveugles pour tout ce qui n'est pas organisé en vue de l'argent, de la richesse,
de la jouissance, pour tout ce qui parle de Dieu, de la religion, de la vie éternelle.
Dites-moi, ne connaissez-vous personne qui réponde à cette description?
À qui tout réussit et qui se préoccupe de toutes les choses imaginables, en ce monde,
de ses chaussures, de son chien, de ses fourrures, de son auto, de son ombrelle,
bref de toutes les choses possibles... sauf uniquement de son âme immortelle.
Lorsque Hérode fit tuer son fils, de peur que celui-ci n'aspirât un jour à prendre le trône,
Tibère, épouvanté de cette cruauté, s'écria: ‟J'aimerais mieux être le pourceau d'Hérode
que son fils!” Ah! s'il avait connu les hommes d'aujourd'hui, il aurait dit ceci:
J'aimerais mieux être un petit chien que l'âme d'un homme, parce qu'on s'occupe plus des petits chiens que de son âme.
Que faut-il que Dieu fasse pour toucher de tels hommes?
Il ne reste guère d'autre moyen que celui de l'épreuve et de la souffrance.
Une dame du monde vint un jour se plaindre à un confesseur d'âge et d'expérience.
‟Mon Père, le monde m'absorbe complètement. Je puis faire ce que je veux, mais je n'arrive pas
à me débarrasser de mon grand péché. J'ai tout essayé déjà: retraites, confessions...
Tout a été inutile. N'y a-t-il donc plus de remède pour moi? Qu'est-ce qui pourrait bien me sauver?”
‟Ce qui pourrait vous sauver, Madame, répondit le vieux prêtre, uniquement un grand malheur.”
La dame ne comprit pas la réponse. Mais bientôt elle la comprit.
Elle perdit une grosse partie de sa fortune, ses parents moururent et c'est alors,
au milieu de très grandes épreuves, que son âme égarée découvrit la voie du repentir et retrouva son Dieu.
Vous le voyez, mes frères, la souffrance peut devenir dans la main divine,
une charrue au soc profond qui retourne le sol que le bien-être avait durci comme la pierre.
Combien de nos frères perdus ont été ramenés par la croix et la souffrance,
au Dieu qu'ils avaient abandonné. Combien peuvent dire, avec Chateaubriand: ‟J'ai cru, parce que j'ai souffert”.
Il y en a plus d'un qui agit envers Dieu comme avec son fourneau:
en hiver, il se réchauffe près de lui, en été il ne le regarde pas.
Les étoiles sont toujours dans le ciel, mais on ne les voit que la nuit;
de même, beaucoup ne remarquent la lumière éternelle que lorsque la souffrance a jeté un voile noir sur leur vie.
c) Mais je ne suis pas un incroyant! dites-vous. Je n'ai pas besoin d'attendre que
Dieu me pousse vers Lui avec le fouet de la souffrance. Que veut donc Dieu, si néanmoins
II permet que le malheur tombe sur moi?
II se peut, mes frères, que Dieu ait sur vous un autre but secret. Sous le poids de la souffrance,
II cherche peut-être à façonner votre âme, à l'embellir, à en faire un chef-d'œuvre.
II n'y a pas d'âme humaine plus profonde, plus forte que celle qui a beaucoup souffert.
‟Jouir avilit”, dit Grethe, le grand écrivain allemand, le bien-être continuel abaisse,
avilit, rend insensible au malheur d'autrui, durcit le cœur, enorgueillit, rend arrogant
et effréné; par contre la souffrance rend sérieux, compatissant, humble, ami du Christ.
Oui, la souffrance peut être le travail de Dieu sur le marbre de notre âme.
Le marbre lui aussi voudrait se lamenter lorsque les durs coups de marteau
du sculpteur font jaillir des étincelles. Mais, n'est-ce pas, si l'artiste voulait
épargner le marbre, il ne pourrait jamais créer un magnifique chef-d'œuvre.
La souffrance peut être un travail de mineur dans notre âme.
Dieu cherche en nous de l'or, l'or ne se trouve pas d'habitude à la surface,
mais il faut, au prix de bien des sueurs, aller le chercher tout au fond.
d) Mais la souffrance, dans la main de Dieu, peut aussi
représenter un châtiment. La justice divine l'exige: celui qui a péché doit être puni.
C'est une loi inéluctable: il faut expier. Ou bien en cette vie ou bien en l'autre.
‟Celui qui a péché...”
Ah! puis-je oser dire que je n'ai jamais péché? Oserai-je? Non?
Mais ai-je aussi expié? Ô mes frères, vous qui avez souffert, ne le perdez pas de vue:
il vaut mieux subir sa peine ici-bas. II vaut mieux dire, avec saint Augustin:
‟Maintenant, maintenant, Seigneur, frappez, brûlez, coupez, mais épargnez-moi dans l'éternité!”
Vous connaissez l'illustre poète François Coppée?
II a vécu dans l'impiété une grande partie de sa vie, puis il s'est converti.
Sur son lit de mort, il endura de terribles souffrances.
Est-ce qu'il priait pour qu'elles prissent fin? Au contraire!
Écoutez seulement: ‟Je veux une longue agonie...”, il se tut un instant,
puis ajouta cette explication: ‟Car je crois en Dieu et à l'immortalité de l'âme”.
Le tapis d'Orient
‟Dans la main de Dieu la souffrance est aussi une peine”.
Bien, je le comprends. Mais comment alors pourrai-je expliquer
que la plupart du temps ce sont les meilleurs, qui n'ont pas de péchés,
qui sont frappés par le malheur, tandis que les pécheurs avérés,
qui dans leur vie n'ont pas fait le moindre bien, mènent une existence
heureuse, sans souffrance. Comment l'expliquer? Où est la justice?
C'est vrai, vous avez raison, mes frères; si cette vie n'a pas de suite,
alors il n'y a pas de réponse à votre question, alors il n'y a pas non plus
de justice. Mais si je crois que la vie de cette terre se continuera devant
Dieu, alors je trouve aussi la réponse à la question. ‟Les gens, de bien
ont tant à souffrir en cette vie”, pourquoi? Parce que justement ils
ne souffriront pas dans l'autre et que, pour les péchés qu'ils ont commis,
(qui osera prétendre qu'il n'a jamais péché?) ils ont déjà fait pénitence en cette vie.
‟Les méchants vivent dans la prospérité”, pourquoi? Parce qu'ils ne vivront pas
ainsi dans l'éternité et que pour le peu de bien qu'ils ont pourtant fait, car
certainement ils en ont fait un peu un jour ou l'autre, ils ont déjà reçu leur récompense en cette vie.
Vous le voyez, mes frères, c'est ainsi que l'homme qui souffre,
que le chrétien qui souffre cherche à résoudre la difficile question:
comment le flot de souffrances qui submerge le monde peut-il se concilier
avec la bonté du Père céleste qui veille sur le monde? On ne peut pas donner
de meilleure réponse que celle-ci: Dieu ne prend pas plaisir à nos souffrances,
tout comme les parents ne se réjouissent pas, quand il leur faut corriger ou punir leurs enfants.
S'ils le font, c'est qu'ils ont de bonnes raisons pour cela: les parents éduquent, améliorent,
préservent, fortifient ainsi leurs enfants et le Père du ciel éduque de la même manière les âmes.
C'est ainsi qu'un peu de lumière se projette sur le problème de la souffrance.
Un peu seulement?
Assurément, un peu seulement. Car, malgré toutes les recherches et les explications,
il faut bien avouer que nous n'y voyons pas tout à fait clair, qu'il est ici question
de quelque chose de secret, de mystérieux, que l'homme ne comprendra jamais parfaitement.
Bien souvent il nous faudrait dire: je ne comprends pas, je ne comprends pas.
Pourquoi ne comprenons-nous pas tout en ce monde? Parce que ce n'est pas nous
qui avons créé le monde. Ce que j'ai fait je le comprends; ce qui arrive dans le monde,
seul le comprend parfaitement le Créateur du monde.
Saint Augustin déjà exprimait la même idée, quand il comparait la vie humaine
à un tapis persan, dont on ne voit que le revers. Regardez un beau tapis d'Orient;
avec quel art harmonieux se mélangent les fleurs, les figures et les couleurs!
Oui, mais si l'on regarde l'envers? En vérité, quel désordre! II en est de même pour la vie.
Nous ne voyons que l'envers; la couleur, c'est-à-dire l'idée directrice adaptée au but
et qui relie les fils isolés est dans la main de Dieu. Au métier qui tisse la vie humaine
est assis le Dieu éternel dont les intentions nous sont inconnues, dont les pensées
ne sont pas nos pensées et dont les voies ne sont pas nos voies.
Mais que nous soyons dans la main de Dieu, que pas un moineau ne tombe d'un toit,
que pas un cheveu ne tombe de notre tête sans que Dieu le sache, que ni l'épreuve,
ni la souffrance, ni la douleur ne peuvent me séparer de Dieu... voilà une vérité que je n'oublierai pas.
Une mort tragique
Mes frères, dernièrement j'ai rencontré un juge à la Cour d'Appel,
de mes connaissances. Je ne l'avais pas vu depuis l'été dernier.
Son fils unique, étudiant, avait été un de mes meilleurs élèves.
Pendant l'été, la famille était en vacances à Heviz. Les parents étaient
sur le bord du lac, tandis que leur fils nageait. Tout d'un coup il coula,
sans dire un mot, sans pousser un cri, sous les yeux de ses parents.
Quelques jours après, on enterrait ce beau jeune homme de 19 ans.
Et avant-hier, je rencontrai son père pour la première fois.
En pareille circonstance, on cherche quelques mots de consolation.
Mais le père ne m'en laissa pas le temps. D'une voix douloureuse,
(avez-vous déjà senti comme tremble la voix d'un homme qui lutte avec son chagrin?)
: ‟Monseigneur, dans mon épouvantable malheur, je remercie Dieu d'avoir été
bon pour Ladislas. Le même jour, il s'était confessé et avait communié.
Et nous, sa mère et moi, nous allons le même jour, chaque mois,
confesser et communier... Et les gens qui nous connaissent s'étonnent
que nous puissions supporter ce coup terrible”.Voilà comment parla ce
père d'une voix tremblante. Ah! comme j'aurais voulu crier: Hommes qui
souffrez, vous mes frères, éprouvés par le sort, venez, instruisez-vous près de ce père en deuil.
Mes frères, si la vie vous est dure...
Mes frères, si la nuit sombre descend sur vous...
Mes frères, si vos yeux n'ont plus de larmes, à force d'avoir pleuré...
Eh bien! Agenouillez-vous avec moi devant Dieu,
cachez votre front torturé dans ses mains, dans les mains du Père céleste,
et essayez de dire lentement, doucement, avec réflexion la prière d'un pieux poète allemand:
Seigneur, que votre volonté soit faite; quoi qu'il arrive, que votre volonté
soit faite, même si j'en souffre. Seigneur, que votre volonté soit faite, même si je ne la comprends pas.
Seigneur, nous serons fermes près de vous.
‟Qui nous séparera de la charité du Christ? La tribulation ou l'angoisse?
La faim ou la nudité? Le péril ou la persécution ou l'épée?
J'ai l'assurance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés,
ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur,
ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour
de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur” (Rom., 8, 35-39). Amen. ■
Tiré du livre: “Le Christ et les problèmes de notre temps”.