par
Mona Mikaël
Pourquoi en faisant
l’homme, le roi de Sa Création, Dieu lui a-t-Il placé la
langue entre les dents? Sans doute pour mélanger les
aliments mâchés, les savourer et les pousser vers la
gorge, qui les avale. Mais cela est vrai seulement pour
la partie animale de l’homme, car il y a une autre
raison non moins pratique et beaucoup plus morale
inscrite dans la structure même de la bouche: si Dieu a
mis la langue dans un petit boîtier bordé de 32 dents
solides et bien plantées, c’était peut-être pour qu’elle
soit étroitement surveillée et, au besoin, mordue.
Depuis
que l’homme existe, pourtant, ni cette garde féroce ni
le frein religieux n’ont encore pu dompter l’indocile
petit muscle dont les défauts ricochent d’un bout à
l’autre de la Bible avec plus de constance, hélas ! que
ses belles qualités… Mentionne-t-on la langue autrement
que pour la qualifier de mauvaise? A-t-on jamais parlé
en français d’une “bonne langue”? Et n’est-ce pas avec
raison qu’on compare cet organe à un fouet qui flagelle,
à un dard redoutable, à une arme qui tue, à une
distillerie de poison et autres métaphores meurtrières?
“Ce n’est pas ce qui
entre dans la bouche qui souille l’homme, a dit
Notre-Seigneur, c’est ce qui en sort !” (Mat 15, 11).
Encore plus virulent, saint Jacques affirme que la
langue est “un venin mortel… un feu enflammé par la géhenne… le monde de l’iniquité… un mal qu’on ne peut
réprimer”. Il déplore que “par elle nous bénissons le
Seigneur notre Père, et par elle nous maudissons les
hommes faits à l’image de Dieu” (Jc 3, 9). Il y a là, en
effet, une grosse contradiction, car “la source
fait-elle jaillir par la même ouverture l’eau douce et
l’eau amère?”.
Dans l’ordre naturel,
cela ne se voit pas, mais l’homme, champion du paradoxe,
peut à divers moments émettre des noirceurs autant que
des merveilles ! À la longue, cependant, notre trait dominant, à force de se montrer, donne une idée assez
juste de notre caractère. C’est la fréquence,
l’intensité et surtout la qualité de ces “moments” qui
fait dire de nous: “C’est un cœur d’or” ou alors: “Quel
chameau !” Convenons qu’il vaudrait mieux n’être pas un
chameau…
Reconnaissons aussi que
les bouches d’or sont rares et que l’on aurait plutôt
tendance à s’exclamer: “Bouche, dors !” ou carrément:
“Dehors !” Rares aussi les langues douces, dénuées de
malice, celles dont la parole berce, console, encourage
et guérit; et ce, autant dans le monde qui ne veut plus
de Dieu, que dans l’armée du Christ où devrait rayonner
la charité du Maître… Chacun sait, sans se l’avouer, que
sa langue a besoin d’un énergique coup de brosse, et
l’auteur de ces lignes ne fait pas exception.
Certes, il est difficile
de parler peu et bien tous les jours de sa vie; ce n’est
cependant pas une chose impossible, moyennant un effort
de vigilance constante. “Effort”, oh l’affreux mot, qui
surgit sans arrêt comme un rappel à l’ordre ! Ce terme
liberticide honni par notre époque est pourtant le
mot-clé du cheminement chrétien: vivre dans la durée,
combattre ses défauts et se rattraper vite avant de
tomber trop bas, tel est le dur labeur du croyant
convaincu; labeur de chaque instant, toujours à
recommencer.
Mais l’acte de parler est
tellement naturel qu’on en abuse toujours sans même s’en
rendre compte, comme on abuse de l’eau.
* * *
Si la langue humaine a
mauvaise réputation, en revanche, la parole est une
invention noble; elle est même tellement noble que
Dieu, en s’incarnant, a voulu s’appeler “le Verbe”. Il
est venu sur terre pour y fonder la Religion de la
Parole et non pas celle du livre, comme trop le croient
encore. La Bible n’est-elle pas la Parole de Dieu, la
Voix de Celui qui répète à Son peuple: “Écoute, ô
Israël”? Si ce Dieu Tout-Aimant a offert la parole à
l’homme sorti de Ses Mains, c’était pour qu’il puisse Le
louer et Lui dire son amour, comme pour le faire
connaître et adorer de tous.
Méditons un instant sur
ce cadeau royal qui nous met au-dessus des autres
créatures, nous permet d’exprimer les grands mouvements
de l’âme, les finesses de l’esprit et les élans du cœur.
Jugeons de son importance énorme, incontournable, et de
la nécessité d’en user prudemment, avec discernement,
surtout avec bonté, car, comme le dit saint Paul dans
son verbe puissant: “Quand je parlerais les langues des
hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis
un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit” (1
Cor 13, 1).
Parlons donc le Sois-Bon,
qui est la langue du cœur, en songeant à ce que peut une
parole bienveillante, à tant de plaies ouvertes qu’elle
pourrait refermer dans notre pauvre monde qui saigne de
partout… Contemplons la beauté de l’humain dont la
langue est chaque jour accordée au Diapason de Dieu et
qui se la mord durement pour retenir l’injure (d’où
l’utilité du terrible dentier !). La mise en garde du
Christ a ici toute sa place: “Qui dira à son frère:
Raca ! sera justiciable du Sanhédrin; et qui lui dira:
Fou ! sera justiciable pour la géhenne du feu” (Mt 5,
22).
Ce sont là des paroles
littéralement brûlantes.
Sachant que “raca” veut
dire imbécile ou idiot, demandons-nous combien de fois
ce méchant épithète – ou l’un de ses synonymes – a
traversé nos lèvres, et ce que nous infligeons à ceux
qui nous l’adressent, péchant nous-mêmes encore par
cette gifle rendue! Dans la stricte logique de la
paille et de la poutre, ne sommes-nous pas alors encore
plus ‘raca’ qu’eux? “Ce que vous aurez fait au plus
petit d’entre les miens, dit encore Notre-Seigneur,
c’est à Moi que vous l’aurez fait”. Et l’écho Lui répond
par un vieux dicton turc: “Ménage le cœur de l’homme,
car là habite Celui que l’univers entier ne saurait
contenir”.
Voici encore saint
Jacques, qui nous rappelle sans gants que “si quelqu'un
s'imagine être religieux sans mettre un frein à sa
langue, il s'abuse lui-même et sa religion est vaine” (Jc
1, 26). Combien nos murs d’église ont-ils enregistré de
prières généreuses et de pensées sublimes aussitôt
piétinées sur la pierre des parvis ! Nos plus nobles
élans dominicaux annulent-ils les écarts “linguistiques”
de la semaine? Hélas, non. Et si la Parole de Dieu nous
met au pied du mur en serrant les balises, c’est pour
que jamais ce mur ne devienne pour nous celui des
lamentations…
Disons la chose telle
quelle: on ne peut honorer Dieu sans un minimum de tenue
morale. A-t-on jamais ouï dire qu’une princesse bien née
ait baillé en public, ou tenu devant la Cour des propos
déplacés, et qui plus est en présence de son père?
N’aurait-elle pas honte d’elle-même si cela lui
arrivait? Et qu’en penserait le roi, qui l’aime si
tendrement et qui est si fier d’elle? Que dire des
héritiers du Royaume Infini, Empire du Roi des Cieux:
sauront-ils se souvenir de la haute destinée pour
laquelle ils sont faits quand leurs langues s’agiteront
de façon peu princière?
* * *
Les plus graves maladies
de la parole sont le mensonge (duplicite), la médisance
(criticose) et la calomnie (calomnite), vrais cancers de
la langue maintenant si répandus dans notre monde
égoïste où il n’est pas question de se mettre en
question. Cette rage de piquer l’autre, de l’abaisser,
de détruire toutes ses chances et sa réputation, est la
lèpre des bureaux, la gangrène des familles, le malheur
de l’humain éperonné par l’Enfer et qui se croit tout
permis, certain dans son orgueil de n’être pas puni.
Il le sera, pourtant,
s’il ne se repent pas.
À force de saper le moral
des troupes, cette fureur diabolique augmente
l’absentéisme et cause de sérieuses baisses de
productivité, forçant les autorités, notamment au
Canada, à poser des sanctions sévères pour l’enrayer.
Combien d’enfants blessés par de cruelles moqueries ont
mis fin à leurs jours parce qu’ils n’en pouvaient plus?
Combien de pères de familles serrent les dents tous les
jours pour “tenir” au travail à cause de la croissance
de l’immoralité, du manque d’éducation de plus en plus
flagrant, du féroce moi-moi-moi qui trouve tout naturel
de marcher sur les autres rien que pour “s’exprimer”?
Mais pourquoi enrichir
une armée de psychiatres quand l’écoute fraternelle
est là pour étancher le besoin de raconter, si fort et
légitime? Cet acte d’attention est un acte d’amour pour
celui que la vie a frappé ou gâté et qui a tant besoin
de confier sa détresse ou de partager sa joie! Ah, si
l’on écoutait d’un cœur vraiment présent l’enfant qu’on
a meurtri, le père qu’on humilie ou la mère épuisée,
combien de solitudes en seraient allégées, d’espoirs
ressuscités, de suicides évités? Combien de pages
d’histoire vivant dans nos aînés seraient sauvées de
l’oubli, et combien peu d’aînés mourraient abandonnés!
Nourries de malveillance
et de rancune jalouse, la criticose et la calomnite sont
de vraies armes de destruction massive: contagieuses
comme la peste, elles volent de bouche en bouche,
alimentent les rumeurs, salissent les meilleurs noms et
détruisent les familles... Quel gâchis elle provoque et
que de vies elle noie, cette boue radioactive dans
laquelle nous baignons! Mais nous pouvons au moins ne
pas l’alimenter, en quittant son orbite et recherchant
toujours les bonnes fréquentations. Si celles-ci
manquent vraiment, comme c’est parfois le cas, rester
seul est plus digne.
Moins virulents, mais
aussi désastreux dans leurs conséquences, sont le
trop-parler et la parole oiseuse. La verbose, jaccassite
ou volubilite, à base de narcissisme et souvent
d’impudeur, se répand en proportion du relâchement
croissant, de l’augmentation exponentielle des
communications et de leurs mille canaux: plus on parle,
plus on est nombreux à parler, plus prolifèrent partout
les moyens de parler, et plus se multiplient les
occasions de péchés, surtout ceux de la langue, si
faciles à commettre. Imaginons la taille du champignon
foncé montant continuellement de notre blogosphère !
Quand même on filmerait
cette haute colonne de suie pour la montrer telle
quelle aux bavards de la Toile, l’incontinence verbale
en serait-elle plus calmée? C’est assez improbable; mais
pour tenter de freiner cet incessant blabla – autrefois
attribué aux femmes et maintenant endémique du côté de
la barbe(1), risquons une suggestion: ne peut-on faire, au
moins, une “retenue à la source” en se demandant: ce que
je veux dire est-il utile, nécessaire, intéressant,
amusant ou édifiant pour l’autre? La belle voix du
silence n’est-elle pas préférable?
Si nous pratiquions un
peu mieux le Tais-Toi, notre production quotidienne de
péchés s’en trouverait diminuée; quel atout merveilleux
pour nos âmes immortelles! Parlons donc plus souvent
l’espéranto des sages, sans pour autant tomber dans
l’autre extrémité en nous taisant lâchement, lorsque
tout nous appelle à parler haut et fort ! Afin que notre
langue ne reste pas nouée à l’heure du témoignage,
habituons-la tout de suite à bien se comporter selon la
circonstance, car le temps se rapproche où il faudra
répondre.
Répondre aussi, il le
faudra, pour nos violentes colères et les plaintes
inutiles proférées à l’envi. La grognonite et la
rouspétose coûtent cher de l’Autre Côté. Pour mettre un
frein à cela, moyennant des efforts sincères et
permanents, adressons-nous aux saints que le Seigneur
Lui-même appela “fils du tonnerre”, notamment le grand
saint Pierre. Implorons également le bon saint François
de Sales qui fut, dans sa jeunesse, d’une explosivité à
désoler les anges et qui finit sa vie aussi doux qu’un
agneau, preuve vivante, édifiante, que l’on peut
réellement gagner contre sa langue.
* * *
À l’échelle des nations
et des institutions, les maux de la parole se répandent
également en proportion du nombre d’humains. Mieux: pour
bien positionner les consciences et les cœurs dans l’axe
spirituel du Nouvel Ordre Mondial, ces maladies de la
langue sont froidement entretenues, encouragées et
cultivées, comme des virus en laboratoire… Les
Olympiades du Mensonge et de la Demi-vérité se jouent
sans trêve ni pause dans la sphère politique, les antres
très actives de la désinformation, si fertiles en
versions officielles fabriquées, et dans la propagande
qui infeste la presse.
Parlons-en de la presse,
l’officielle, la vendue, qui a offert son âme au pire
Pouvoir Occulte ! Qu’a-t-elle fait du devoir
d’information et de dénonciation, qui est sa raison
d’être et sa mission première? Elle s’en est dispensée,
laissant le Talon de Fer broyer des milliers de vie et
commettre sans frein d’horribles génocides, notamment
dans les églises d’Orient… De combien de pogroms(2)
et
d’exactions sommaires ce silence criminel s’est-il fait
le complice ! Quel lourd prix à payer au tribunal de
Dieu pour cette non-assistance à groupements en danger…
Il est clair, d’autre
part, qu’un lien direct relie l’énorme développement de
l’espionnage civique et l’essor monstrueux des
communications (courriel, téléphones portables, Skype,
etc. Tout semble organisé pour faire parler les gens
le plus possible, car c’est lorsqu’ils jacassent qu’ils
se révèlent le mieux. La réponse faite à de jeunes
internautes qui remerciaient chaudement les agents de Facebook de les faire profiter gratuitement de leurs
réseaux, a de quoi faire réfléchir: “Amis, rien n’est
gratuit. Vous nous payez en renseignements qui, d’heure
en heure, nourrissent nos banques d’information!”

C’est encore par une
exploitation abusive de la parole, l’ingénierie verbale,
que nos nouveaux sophistes, en jouant sur le flou des
grandes notions abstraites, ont su faire dire aux mots
des choses contradictoires. Leurs manipulations ont
fait de très beaux mots “l’expression sémantique de
l’oppression, une procédure qui vise à cibler un groupe
qu’on veut exploiter ou anéantir en le présentant comme
humainement déficient ou même en allant jusqu’à lui
dénier toute humanité”. Dans le plan avancé de re-paganisation
du monde, les Chrétiens sont en tête des groupes à
trucider…
Si la mollesse ambiante –
celle qui nourrit le vice et qui aiguise les langues – a
tué les volontés ou leur a substitué une volonté
globale, comment remotiver les croyants? D’abord, par la
dissuasion, car chacun sait qu’un jour il devra rendre
compte de chaque parole oiseuse, menteuse ou malicieuse
et en payer le prix (comme si les grosses factures nous
manquaient ici-bas !). Mais il y a également le grand
fouet de la peur, que Dieu laisse faire son œuvre quand
les âmes, endormies, restent sourdes à Sa Voix…
Chaque jour, notre
Occident perd un peu de liberté, notamment par la froide
dictature du politiquement correct. Ceux qui dérogent au
Code se voient interpellés par la police de la pensée
qui, à coups de botte ferrée, leur enfonce dans la gorge
les paroles interdites. Enserrés dans l’étau de la
Pensée Unique, les esprits qui se croient libres
apprennent à leurs dépens qu’on ne dit plus ce qu’on
veut maintenant en Occident. Dans ce totalitarisme
montant, un petit mot, un seul, peut coûter très, très
cher… Le sournois petit muscle, méchant et critiqueur,
peut alors se donner une nouvelle vocation, celle
d’espion dénonciateur.
* * *
Lorsque les cœurs se
ferment, tout dégringole autour et le langage exprime
cela mieux que le reste. “La charité se refroidira”, a
annoncé la Vierge à La Salette. Nous entrons dans ces
temps qu’elle a prophétisés et où, affirme Charles
Arminjon – le prêtre qui donna des extases à sainte
Thérèse(3) –, “il n’y aura de liberté que pour le mal”…
L’heure n’est-elle pas venue pour les langues bien
chrétiennes de faire, par leur bonté, un puissant
contrepoids aux déchaînements de l’enfer?
À tous ceux qui aspirent
au titre d’enfants de Marie, il convient de rappeler
que la douce Mère de Dieu, plus frappée par l’injure et
la contradiction que nous tous réunis, a toujours su
garder sa langue de la souillure; qu’elle a parlé le
Sois-Bon et le Tais-toi avec une grande constance, et
qu’au sein des Mystères auxquels son oui béni a ouvert
la grande porte, son cœur broyé de douleur est resté
jusqu’au bout immaculé et bon. Implorons donc son aide
afin que notre bouche, créée pour la louange, n’aille
jamais, mais jamais devenir une bouche d’égout…
Seigneur, je Vous rends
grâce du cadeau si précieux de la parole et Vous
consacre ma langue afin qu’elle sache amener à Vous ceux
qui s’approchent de moi. Qu’elle soulage et console et
fortifie mes frères au lieu de les piquer et de les
faire pleurer, afin qu’au dernier jour je puisse mettre
à Vos pieds, purifiées par l’amour, “les paroles de mes
lèvres” (Osée 14, 2). Marie qui défaites les nœuds, pour
une fois faites-en un à ma langue de fille d’Ève qui
tache ma robe nuptiale ! Daignez faire de cette langue
une réplique de la vôtre pour la grande gloire de
Dieu. ■
____________________
(1) Les hommes.[NDLR]
(2) Mouvement
populaire conduit par les autorités tsaristes et visant
à l’extermination des juifs.[NDLR]
(3) L'abbé Arminjon est
un auteur qu'appréciait beaucoup sainte Thérèse,
notamment pour son œuvre "Fin du monde présent et
mystères de la Vie future". [NDLR]