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EUGENIO ZOLLI
(1881-1956)
de Grand Rabbin
devenu témoin du Christ
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Récit du P. Dezza S.J. (Civilta Cattolica,
21-2-1981)
Traduit par le P.A. Feuillet
Ce qui fut déterminant dans la conversion du
grand rabbin de Rome E. Zolli, ce fut la
considération du Christ crucifié, en lequel il
reconnaissait réalisée la prophétie d'Isaïe sur le
Serviteur de Yahvé, comme il le révéla lui-même dans
une conférence à la Grégorienne donnée après son
baptême en 1945... Très vive était l'attente et
l'aula magna de la Grégorienne était comble. Quand
E. Zolli apparut, il fut salué par un tonnerre
d'applaudissements auxquels il répondit par ces
paroles du psalmiste: "Non pas à nous, Seigneur, non
pas à nous, mais à ton Nom donne la gloire" (Ps 115,
1).
Racontant sa conversion, il rappela comment,
étant encore jeune garçon, il avait été frappé par
la vue d'un crucifix fixé au mur de la chambre d'un
ami chrétien, auquel il rendait souvent visite:
"Quel était donc cet homme crucifié?" se
demandait-il. – "C'était Jésus-Christ" lui avait-il
été dit. – "Jésus-Christ était-il donc un criminel?
Tous les hommes crucifiés ne sont-ils pas des
criminels?" Telles étaient les questions qui
assiégeaient l'esprit de ce garçon avide de
connaître la vérité. Quand plus tard, lisant le
livre d'Isaïe, il rencontra les Chants du Serviteur
de Yahvé, présenté comme l'homme innocent, le plus
pur qui puisse être, et cependant frappé, humilié,
maltraité jusqu'à en mourir pour nos péchés, en son
esprit surgissait cette demande lancinante: "Le
crucifié que j'ai vu n'était-il pas ce Serviteur de
Yahvé?" C'est ainsi qu'Isaïe, qu'on peut surnommer
le cinquième évangéliste de la Passion, indiquait au
jeune Zolli la voie qui le conduirait à la foi
chrétienne.
Naturellement la voie à parcourir était encore
longue. La réponse à la question que se posait Zolli
ne pouvait être immédiate. De longues études
s'ensuivirent, des réflexions et méditations sur le
texte d'Isaïe et sur les diverses interprétations
qui en avaient été proposées par les exégètes: le
prophète se référait-il à tout le peuple d'Israël ou
à une seule personne, voyait-il ce personnage dans
le passé, dans le présent ou dans l'avenir, et tant
d'autres hypothèses... Et Zolli rappelait, dans sa
conférence, ses investigations persévérantes et
soigneuses, scrupuleuses pour parvenir à comprendre
qui donc est véritablement ce Serviteur de Yahvé.
Peu à peu, au milieu de sa recherche critique, il
vit s'effondrer les diverses hypothèses. Une seule
demeurait valable: celle qui reconnaissait dans le
Serviteur de Yahvé, Jésus-Christ crucifié et
ressuscité.
Zolli poursuivait sa conférence en disant que,
parvenu à la certitude que le Serviteur de Yahvé ne
pouvait être que Jésus-Christ, mort pour nos péchés
et ressuscité pour notre justification (Rm 4, 25) il
se trouvait dans la situation de quelqu'un qui,
errant près des confins de sa patrie et se trouvant
au milieu de vallées et de montagnes en un endroit
où les frontières ne sont pas clairement marquées,
s'aperçoit tout d'un coup qu'il est sorti de son
propre pays et est entré dans un autre.
"Pareillement moi-même, disait-il, après
avoir longtemps étudié, médité et vécu dans
l'hébraïsme de l'Ancien Testament, je devais
reconnaître honnêtement que désormais je n'étais
plus hébreu, mais chrétien, et je devais agir en
conséquence". D'où la décision de demander le
baptême et de devenir chrétien.
C'est pourquoi le passage de Zolli de
l'hébraïsme au christianisme n'était pas une rupture
avec le passé, mais la permanence dans la voie du
salut indiquée par la Révélation, tout comme entre
l'Ancien et le Nouveau Testament il n'y pas rupture
mais continuité. "La même lumière, disait
Zolli, se fait jour dans la rigoureuse parole
d'Amos, s'affermit dans la merveilleuse prophétie
d'Isaïe pour s'achever dans la grande lumière de
l'évangile". Au reproche de trahison, il
répliquait avec indignation: "Je n'ai rien renié.
J'ai la conscience tranquille. Le Dieu de
Jésus-Christ, de Paul n'est-il pas le Dieu même
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob? Paul est un
converti. Aurait-il par hasard abandonné le Dieu
d'Israël? Aurait-il cessé d'aimer Israël? La seule
formulation de cette pensée est une absurdité".
...Il était particulièrement intéressant de
s'entretenir avec Zolli quand il expliquait certains
textes de l'écriture, pour nous plutôt obscurs et
difficiles et que lui, avec sa profonde connaissance
de la langue hébraïque et du grec biblique, et
également de la mentalité et des traditions
orientales, interprétait d'une manière si simple et
si naturelle qu'on en était stupéfait. Quelquefois
alors il ajoutait en souriant: "Je ne sais si
tous les exégètes accepteraient mon interprétation,
mais à moi la chose me paraît claire".
Dans ces conversations familières, il
manifestait sa grande joie spirituelle d'être devenu
chrétien, et un jour il me dit avec un accent de
spéciale conviction: "Vous qui êtes nés dans la
religion catholique, vous ne vous rendez pas compte
de la chance que vous avez d'avoir reçu dès
l'enfance la foi et la grâce du Christ; mais celui
qui, comme moi, est arrivé au seuil de la foi après
un long travail poursuivi pendant des années,
apprécie la grandeur du don de la foi et ressent
toute la joie qu'il y a à être chrétien".
"Un converti, aimait à dire E. Zolli,
est comme un miraculé. Il est l'objet, non le sujet
du prodige. Il est faux de dire que quelqu'un s'est
converti, comme s'il s'agissait d'une initiative
personnelle. D'un miraculé on ne dit pas qu'il s'est
guéri, mais qu'il a été guéri. Il en va de même du
converti".
à la fin de juin 1944, Zolli se sentait
désormais libre d'accomplir le pas (de la
conversion) qu'il préparait depuis longtemps. Il
était demeuré près de ses coreligionnaires pendant
tout le temps de la dure épreuve (la persécution
contre les Juifs de Rome provoquée par l'occupation
de Rome par les nazis). Il avait partagé avec eux la
souffrance de la persécution. Il avait cherché à les
aider par tous les moyens qui étaient à sa
disposition. Une fois revenues la paix et la
tranquillité, il avait accompli publiquement et
solennellement le devoir d'exprimer la gratitude de
la communauté hébraïque à tous ceux qui l'avaient
aidée dans les moments les plus difficiles et les
plus douloureux. Maintenant il pouvait se retirer
silencieusement pour suivre la voix du Seigneur.
Ainsi s'explique la visite qu'il me fit au mois
d'août (1944) avec le dessein de tout arranger de
manière à préparer convenablement son entrée dans
l'Église catholique sous une forme discrète qui
éviterait les oppositions et la publicité.
Eugenio Zolli était d'origine polonaise: son nom
de naissance était Israele Zoller. Sa femme (Emme
Majonica di Gorizia) et sa fille Myriam
participeront à son travail spirituel et le suivront
dans sa conversion.
Quand tout sembla convenablement préparé, la
date de son baptême fut fixée au 12 février 1945...
Israele prit le nom d'Eugène par reconnaissance
envers Pie XII qui s'était tant dépensé en faveur
des juifs. Et sa femme ajouta à son nom (Emma) celui
de Maria...
Zolli demande au Père Dezza le baptême en ces
termes: "Père ma demande de baptême n'est pas un
"do ut des". Je ne demande que l'eau du baptême, je
vivrai pauvre, je mourrai pauvre; j'ai confiance en
la Providence".
La première chose qu'il avait à faire, c'était
naturellement de se démettre de sa charge de grand
Rabbin. Le Seigneur lui-même lui faisait comprendre
qu'il n'était plus à sa place dans la synagogue. Il
y fit la dernière célébration lors de la fête de
l'Expiation au mois de septembre 1944. C'était une
fête qu'il aimait beaucoup et qu'il avait l'habitude
de célébrer avec une grande dévotion. Mais ce
jour-là, pendant que les autres priaient et
chantaient, il ne parvenait pas à prononcer une
seule parole. Il lui semblait voir au milieu d'un
pré verdoyant la figure de Jésus revêtu d'un manteau
blanc qui rayonnait une paix inexprimable, tandis
que ces mots résonnaient dans son cœur: "Tu es ici
pour la dernière fois"(2). ■
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