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L'AGONIE
DE NOTRE-SEIGNEUR
décrite par le Padre Pio
(1e partie)
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Au Jardin, le Maître s'éloigne de ses disciples
et n'emmène que trois témoins de son Agonie :
Pierre, Jacques et Jean. L'ayant vu transfiguré sur
le Thabor, auront-ils la force de reconnaître
l'Homme-Dieu dans cet être broyé par l'angoisse de
la mort?
En entrant au Jardin il leur dit : « Restez
ici! Veillez et priez pour ne pas entrer en
tentation. » Soyez sur vos gardes, car l'ennemi
ne dort pas. Armez-vous à l'avance des armes de la
prière pour que vous ne soyez pas surpris et
entraînés dans le péché. C'est l'heure des ténèbres.
Les ayant exhortés, Il s'éloigne d'un jet de
pierre, et se prosterne face à la terre. Son âme est
plongée dans une mer d'amertume et d'extrême
affliction.
Il est tard. La nuit blafarde est pleine
d'ombres sinistres. La lune semble injectée de sang.
Le vent agite les arbres et pénètre jusqu'aux os.
Toute la nature semble frémir dans une secrète
épouvante !
Ô Nuit, comme il n'y en a jamais de pareille!
Voici la place où Jésus vient prier. Il
dépouille sa sainte Humanité de la force à laquelle
elle a droit par son union à la Divine Personne. Il
plonge dans l'abîme de tristesse, d'angoisse,
d'abjection. Son esprit semble submergé...
Il voit à l'avance toute sa Passion. Il voit
Judas, son apôtre, le tant aimé, qui le vend pour
juste quelques sous… Le voici sur le chemin de
Gethsémani pour le trahir et le livrer! Et pourtant
tout à l'heure, ne l'a-t-il pas nourri de sa Chair,
abreuvé de son Sang? Prosterné devant lui, il a lavé
ses pieds, les a pressées sur son cœur, les a baisés
de ses lèvres. Que n'a-t-il fait pour l'arrêter au
bord du sacrilège ou, du moins, pour l'amener à la
repentance! Mais non, le voici qui court vers sa
perdition… Jésus pleure.
Il se voit traîné dans les rues de Jérusalem où,
il y a quelques jours à peine, on l'acclamait comme
Messie. Il se voit souffleté devant le Grand Prêtre.
Il entend crier : « A mort! » Lui, auteur de
Vie, est traîné comme une loque d'un tribunal à
l'autre.
Le peuple, son peuple, le tant aimé, le tant
comblé, le hue, le bafoue, réclame à grands cris sa
mort, et quelle mort ! La mort sur la croix. Il
entend leurs fausses accusations. Il se voit
flagellé, couronné d'épines, tourné en dérision,
salué comme faux roi.
Il se voit condamné à la croix, montant au
Calvaire, succombant sous le poids, chancelant,
écroulé...
Le voici arrivé au Calvaire, dépouillé de ses
vêtements, étendu sur la croix, impitoyablement
cloué, élevé face au ciel et à la terre. Il pend sur
les clous tout pantelant, en d'indicibles
tortures... Mon Dieu! Quelle longue agonie de trois
heures le fera succomber au milieu des huées de la
racaille, ivre de colère!
Il voit sa gorge et ses entrailles, dévorés
d'une soif ardente et, pour l'échanger, ce vinaigre
et ce fiel.
Il voit son Père qui le délaisse et sa Mère,
accablée de douleur. pour finir cette mort
ignominieuse au milieu de deux larrons. Si l'un le
confesse et peut être sauvé, l'autre blasphème et
meurt comme un réprouvé.
Il voit Longin qui approche pour transpercer son
cœur.
La voici consommée, l'extrême humiliation du
corps et de l'âme qui se séparent...
Tout cela, scène par scène, passe devant ses
yeux, l'épouvante et l'accable. Reculera-t-il ?
Dès le premier instant, il a tout embrassé, tout
accepté. Pourquoi donc cette extrême terreur? C'est
qu'il a exposé sa sainte humanité comme bouclier qui
capte les coups de la Justice, outragée par le
péché.
Il sent vivement dans son esprit esseulé tout ce
qu'il doit souffrir. Pour tel péché, telle peine...
Il est broyé parce que, lui-même, il s'est livré en
proie à l'épouvante, à la faiblesse, à l'angoisse.
Il semble toucher au comble de la douleur, Il
est prosterné face à terre, devant la majesté de son
Père. La sainte Face de l'Homme-Dieu qui jouit de la
vision béatifique gît, là, dans la poussière,
méconnaissable. Mon Jésus! N'es-tu pas Dieu?
Maître du ciel et de la terre? Égal au Père ?
Pourquoi t'abaisser jusqu'à perdre tout aspect
humain?
Ah, Oui... Je comprends! Tu veux m'apprendre, à
moi, l'orgueilleux, que pour frayer avec le ciel, je
dois m'abîmer jusqu'au fond de la terre. C'est pour
expier mon arrogance que tu t'écroules. C'est pour
réconcilier le ciel avec la terre que tu t'abaisses
jusqu'à la terre comme si tu voulais lui donner le
baiser de la paix...
Jésus se redresse, tourne vers le ciel un regard
suppliant, lève les bras et prie. Quelle pâleur
mortelle couvre son visage!
Il implore son Père qui semble se détourner de
lui. Il prie avec une confiance filiale, mais il
sait bien la place qu'il tient. Il se sait victime
pour toute la race humaine, exposée au courroux de
Dieu outragé. Il sait que lui seul peut satisfaire à
la Justice infinie et réconcilier le Créateur avec
sa créature. Il le veut, il le réclame. Mais sa
nature est littéralement broyée. Elle s'insurge
contre un tel sacrifice. Cependant son esprit est
prêt à l'immolation et le dur combat continue.
Jésus, comment pouvons-nous te demander d'être
forts, lorsque nous te voyons si faible et si
accablé?
Oui, je comprends! Tu as pris sur toi toute
notre faiblesse. Pour nous donner ta force, tu es
devenu notre bouc émissaire. Tu veux nous apprendre
qu'en toi seul nous devons mettre toute notre
confiance, même si le ciel nous paraît d'airain.
Dans son Agonie, Jésus crie vers son Père : « Si
c'est possible, éloigne de moi ce calice ».
C'est le cri de la nature qui, terrassée, avec
confiance recourt au ciel. Cependant, bien qu'il
sache qu'il ne sera pas exaucé, puisqu'il veut qu'il
en soit ainsi, il prie. Mon Jésus, pourquoi
demandes-tu ce que tu sais que tu n'obtiendras pas ?
Quel vertigineux mystère! La peine qui t'afflige
te fais mendier aide et réconfort, mais ton amour
pour nous et ton désir de nous rendre à Dieu te fait
dire : « Non pas ma volonté, mais la tienne ! »
Son Cœur désolé a soif de réconfort. Doucement
Il se lève, fait quelques pas en chancelant. Il
s'approche de ses disciples : eux du moins, ses
amis, ses confidents, comprendront, partageront sa
peine…
Il les trouve plongés dans le sommeil. Comme
tout d'un coup Il se sent seul et délaissé!
« Simon, dors-tu? » dit-il tout doucement à
Pierre. Toi qui vient de me dire que tu me suivrais
jusqu'à la mort?
Il se tourne vers les autres : « Ne
pouviez-vous donc veiller une heure avec moi ? »
Une fois de plus il oublie ses souffrances, ne pense
qu'à eux : « Veillez et priez pour ne pas tomber
dans la tentation! »
Il semble dire : « Si vous m'avez si vite
oublié, moi qui lutte et souffre, du moins dans
votre propre intérêt veillez et priez! »
Mais eux, ivres de sommeil, l'entendent à peine.
O mon Jésus, combien d'âmes généreuses, touchées
par tes plaintes, te tiennent compagnie au Jardin
des Oliviers, partageant ton amertume et ta
mortelles angoisse!
Combien de cœurs à travers les siècles ont
généreusement répondu à ton appel!
Puissent-ils te consoler et, partageant ta
détresse, puissent-ils coopérer à l'œuvre du salut!
Puissé-je moi-même être de leur nombre et te
soulager tant soit peu, ô mon Jésus !
Jésus retourne à la place de sa prière et un
autre tableau, bien plus terrible, se présente à ses
yeux. Tous nos péchés dans leurs moindres détails
défilent devant lui. Il voit l'extrême vulgarité de
ceux qui les commettent. Il sait à quel point ils
outragent la divine Majesté. Il voit toutes les
infamies, toutes les obscénités, tous les blasphèmes
qui souillent les cœurs et les lèvres
créés pour chanter la gloire de
Dieu. Il voit les sacrilèges qui déshonorent
prêtres et fidèles. Il voit l'abus monstrueux des
sacrements qu'Il a institués pour notre salut et qui
peuvent devenir cause de notre damnation.
Il doit revêtir toute cette boue fétide de
l'humaine corruption. Il doit se présenter ainsi
devant la sainteté de son Père. Il doit expier
chaque péché et rendre au Père toute sa gloire
volée. Pour sauver le pécheur, Il doit descendre
dans ce cloaque.
Même cela ne l'arrête pas. Comme une houle
monstrueuse cette boue l'environne, le submerge,
l'oppresse. Le voici face au Père, Dieu de Justice.
Lui, Saint des Saints, ployant sous les péchés,
devenu pareil aux pécheurs. Qui sondera son horreur
et son extrême répugnance ? Ce hoquet de dégoût,
cette affreuse nausée ?
Ayant tout pris sur lui, sans aucune exception,
il est écrasé par le monstrueux fardeau et gémit
sous le poids de la Justice divine, face à son Père
qui a permis à Lui, son Fils, de s'offrir comme
victime pour les péchés du monde et devenir comme un
maudit.
Sa pureté frémit devant ce poids infâme, mais Il
voit en même temps la justice outragée, le pécheur
condamné… Deux forces, deux amours s'affrontent dans
son cœur. C'est la justice outragée qui l'emporte.
Mais quel spectacle, infiniment lamentable! Cet
Homme, chargé de toutes nos souillures. Lui,
Sainteté essentielle, même extérieurement assimilé
aux criminels… Il tremble comme une feuille.
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